La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Marchand de Venise (Business in Venice)

Le Marchand de Venise (Business in Venice) - Critique sortie Théâtre Tours CDR de Tours – Théâtre Olympia
Le Marchand de Venise actualisé par Jacques Vincey. © Christophe Raynaud de Lage

En tournée / d’après Shakespeare / traduit et adapté par Vanasay Khamphommala / mes Jacques Vincey

Publié le 27 septembre 2017 - N° 258

Jacques Vincey met en scène une réécriture du texte de Shakespeare afin d’en faire entendre les résonnances contemporaines. Une entreprise vouée à l’échec.

Que signifie actualiser Le Marchand de Venise, paru en 1596 à l’aube des temps modernes ? Shakespeare y orchestre l’opposition entre l’usurier juif Shylock et le marchand vénitien chrétien Antonio, qui contractent un prêt d’une étrange nature. Pour son cher ami Bassanio, qui souhaite conquérir Portia, Antonio emprunte 3000 ducats à Shylock. Si le prêt n’est pas remboursé avant trois mois, Shylock pourra prélever une livre de chair sur le corps d’Antonio. Rappelons quelques faits historiques sommaires. Dans l’Europe d’alors, les juifs, soumis à des lois spécifiques, étaient contraints d’exercer pour nombre d’entre eux la profession de prêteurs avec intérêt afin de survivre. L’antisémitisme chrétien, répandu y compris chez de nombreux gouvernants, justifiait aisément les pires humiliations. C’est à Venise justement, à partir de 1516, que fut créé le premier ghetto de l’histoire. Si le génial Shakespeare complexifie et humanise magnifiquement la figure de l’usurier juif Shylock, il n’en demeure pas moins affublé de traits caricaturaux, l’œuvre demeure perméable aux préjugés de son siècle. Aujourd’hui même, le lien entre les juifs et l’argent constitue l’un des clichés antisémites les plus tenaces. Entouré par une bonne équipe de comédiens – Pierre-François Doireau, Thomas Gonzalez, Jean-René Lemoine, Océane Mozas et de comédiens du Jeune Théâtre en Région Centre-Val de Loire, Quentin Bardou, Jeanne Bonenfant, Alyssia Derly, Théophile Dubus, et Anthony Jeanne -, le talentueux metteur en scène Jacques Vincey, qui endosse fort bien le rôle de Shylock, a donc choisi d’extraire la pièce de son ancrage historique. Par l’intermédiaire de l’acteur Pierre-François Doireau qui interpelle le public sur un mode appuyé et peu fin, un prologue en forme d’entrée en matière nous avertit. Place ensuite à la pièce traduite et adaptée par Vanasay Khamphommala, complice du metteur en scène et fin connaisseur de Shakespeare.

Boules à facettes de pacotille

La société vénitienne frivole et hypocrite se matérialise par un supermarché bien garni, où Antonio, Superman triste et mélancolique dont la fortune parcourt les mers, devise avec ses amis. Bouffonnerie carnavalesque, monde d’apparences et d’illusions, argent-roi indispensable en tous domaines : la mise en scène montre une société régie par les lois économiques, où peut surgir la violence. Assoiffé de vengeance, Shylock finira défait. Autre univers à Belmont : dans une ambiance de téléréalité, la belle et riche Portia doit soumettre ses prétendants selon la volonté paternelle à la loterie des trois coffres. Les sphères célestes qui signifient concorde ou discorde chez Shakespeare deviennent ici des boules à facettes de pacotille. Quelles résonances contemporaines exprime donc la réécriture de la pièce ? Si la question économique supporte les parallélismes (même si l’économie globalisée ne peut bien sûr suffire à définir le fonctionnement des sociétés humaines), qu’en est-il des enjeux sociaux et politiques, du sens de l’affrontement entre Shylock et la société vénitienne ? On reste à cet égard perplexe. Jacques Vincey annonce vouloir dans cette pièce faire écho aux questions actuelles de « crispations identitaires » et de « comportements radicaux« *. Doit-on comprendre que la « radicalisation » de Shylock fait écho à celle des jeunes radicalisés d’aujourd’hui, qui seraient devenus haineux au point de tuer en réaction à l’oppression subie ? On n’imagine pas le metteur en scène et son équipe envisager une équation aussi simpliste et inepte, qui évacue à la fois la dimension évidente de croisade religieuse de Daesh et la complexité des phénomènes sectaires. La question de l’antisémitisme, qui ironiquement aujourd’hui rassemble l’extrême droite et l’islamisme radical, est-elle éclairée par cette réécriture ? Pas davantage, et cette irrésolution sans doute inévitable pose problème. Malgré ses qualités dramatiques, l’actualisation de la pièce échoue à appréhender le théâtre complexe et cruel de notre monde.

Agnès Santi

*Lire notre entretien La Terrasse n°257.

A propos de l'événement

Le Marchand de Venise (Business in Venice)
du mardi 19 septembre 2017 au jeudi 14 décembre 2017
CDR de Tours – Théâtre Olympia
7 Rue de Luce, 37000 Tours, France

Du 19 septembre au 6 octobre 2017. Tél. : 02 47 64 50 50. Théâtre 71, 3, place du 11 novembre, 92240 Malakoff. Du 11 au 20 octobre 2017. Mercredi, jeudi et samedi à 19h30 ; mardi et vendredi à 20h30 ; dimanche à 16h. Tél. : 01 55 48 91 00. Du 7 au 10 novembre 2017 à la Comédie de Reims. Du 15 au 16 novembre au NEST, Centre dramatique national de Thionville. Du 21 au 24 novembre au Théâtre Dijon Bourgogne. Du 29 novembre au 1er décembre à la Comédie de Saint-Etienne. Les 6 et 7 décembre à l’Hexagone, Scène nationale de Meylan. Du 12 au 14 décembre à la Maison de la Culture de Bourges. Durée : 2h45 avec entracte.

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