La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre

Le Camion

Le Camion - Critique sortie Théâtre Bobigny MC93
Le Camion, dans la mise en scène de Marine de Missolz. © Jean-Louis Fernandez

MC 93 / de Marguerite Duras / mes Marine de Missolz

Publié le 27 septembre 2017 - N° 258

Comment prendre de la distance avec Duras tout en faisant briller son écriture, c’est le formidable pari que tente et réussit Marine de Missolz dans Le Camion.

Le Camion est un film de Marguerite Duras qui, en 1977, a généré une vive opposition entre spectateurs criant au génie et ceux dénonçant un véritable « foutage de gueule ». Il faut dire que Duras y mène avec Gérard Depardieu une expérience extrême, une sorte d’attaque contre le cinéma, puisqu’à l’écran, on les voit simplement tous les deux attablés, lire ensemble le potentiel scénario d’un film qui s’élabore petit à petit à l’image, notamment sous forme de longs travellings panoramiques. Dans ce film, on retrouve les éléments récurrents de l’œuvre de Duras – la rencontre et l’absence de rencontre, la mer, les lieux qui se mélangent, le désir criant… Le tout teinté d’un discours politique inhabituellement marqué et d’une dimension autobiographique plus développée que d’habitude. L’histoire qu’élabore le scénario est simplissime : une femme monte dans un camion qui passe sur la route. Petit à petit, le scénario essaye de dire qui elle est et les lieux que traverse ce camion, sous l’impulsion d’un récit mené au conditionnel – comme dans les histoires d’enfant –, qui soutient ce climat d’irréalité coutumier chez Marguerite Duras.

 

Le troisième homme

 

Ils sont trois sur scène. Laurent Sauvage mène le jeu, prend en charge le développement du scénario potentiel et fait au passage briller la prose de Duras, avec ce talent qu’il a de faire entendre les mots en les rendant tellement concrets, tellement présents. L’accompagne Hervé Guilloteau, qui joue l’interlocuteur qui se laisse prendre par ces propositions de scénario, qui, en même temps, le laissent un peu perplexe. L’objectif de la metteuse en scène, Marine de Missolz, est de faire entendre ce texte sans le tenir pour sacré, de déployer la poésie de Duras sans toujours la prendre au sérieux, d’ôter à Duras son excessive solennité pour faire résonner son humour et sa joie, la beauté de sa parole aussi. Le troisième homme, incarné par Olivier Dupuy, contribue fortement également à la parfaite réussite de l’exercice. Sorte de ligne de fuite du spectacle, spectateur muet, extérieur au jeu de l’invention de l’histoire tout en y étant intégré, sa présence tout en fragilité évite le confinement du sens. La mise en scène y est pour beaucoup également, qui diffracte le regard sur cette histoire, multiplie les possibilités d’interprétation, donne le droit d’être parfois critique ou de n’y rien comprendre. Avec des effets sonores habiles, des changements de registre audacieux, et une utilisation intelligente de la vidéo, le plateau répercute le conditionnel du texte en une variété d’approches possibles. Ce spectacle aux équilibres subtils donne ainsi au Camion une couleur qu’il n’avait peut-être jamais trouvée et rend à Duras, sans la trahir, une fantaisie qu’on a trop souvent reléguée derrière son trop plein de sérieux.

 

Eric Demey

A propos de l'événement

Le Camion
du samedi 14 octobre 2017 au dimanche 22 octobre 2017
MC93
9 Boulevard Lénine, 93000 Bobigny, France

Du 14 au 22 octobre à 20h, le samedi à 18h, le dimanche à 16h. Relâche le lundi. Tél : 01 41 60 72 72. Du 17 au 19 avril au Théâtre Universitaire de Nantes. Spectacle vu au TNS à Strasbourg. Durée : 1h15.

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