La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

La Tragédie est le meilleur morceau de la bête

La Tragédie est le meilleur morceau de la bête - Critique sortie Théâtre Meaux Théâtre Luxembourg
Denis Chabroullet. Crédit photo : DR

Tournée en France / mes et écriture Denis Chabroullet

Publié le 28 octobre 2014 - N° 225

Le poilu de 14 figure au premier rang de l’abécédaire artistique du Théâtre de la Mezzanine. Centenaire oblige, Denis Chabroullet et les siens rendent hommage au petit peuple des tranchées, en imaginant la vie de cinq pioupious poétiques et cocasses.

« La bête, c’est l’humanité, et la tragédie son cœur palpitant. »

Pourquoi faire un spectacle sur la Grande Guerre ?

Denis Chabroullet : A cause du centenaire, et sans doute parce que c’est la dernière occasion de rendre hommage à ceux qui sont morts. Il n’était évidemment pas question de faire un spectacle historique. Quoi raconter, alors, et comment le montrer ? Les choses sont venues progressivement. D’abord le titre. La bête, c’est l’humanité, et la tragédie son cœur palpitant. Les gars de 14 se disaient que cette guerre-là serait la dernière, et pourtant, ce n’est pas fini, et ça sera toujours ainsi. On aime ces grands drames. En plus, c’est une guerre contemporaine pour tous ceux du XXème siècle. Pendant toute mon enfance, j’en ai entendu parler. Par mon père, orphelin de guerre, par ma grand-mère qui, sur cinq enfants, en avait vu revenir trois et demi, par le récit de la balle que mon oncle conserva toute sa vie dans la tête… Dans cette guerre, il y avait quelque chose de très enfantin qui faisait rêver les gosses que nous étions. Jouer à cache-cache, jouer à s’enterrer : quand on est gosse, on joue à ça.

A quoi s’occupent les poilus de ce spectacle ?

D. C. : Dans tout ce que j’ai lu – et c’est grâce à la littérature que j’ai pu faire ce spectacle sans paroles –, il est dit que les poilus construisaient des choses, s’organisaient contre le froid, l’humidité. Quand il y a un être humain quelque part, s’il n’est pas en dépression, il se met à construire quelque chose. Il fallait dormir, bouffer, se protéger autant des rats que de ce qui tombait du ciel. Il fallait qu’ils se défendent, ils creusaient des trous, construisaient des gourbis. Et pendant ce temps-là, à Paris, on dansait. Gabriel Chevallier raconte comment les poilus découvrent dans le journal que c’est la crise à Paris parce que les bourgeois ne trouvent plus de fiacre à la sortie de l’opéra… Personne ne pouvait se rendre compte. Et en même temps, c’est toujours pareil : c’est le peuple qui souffre. Les bandes molletières, les lacets accrochés aux barbelés, la tenue garance, le manteau marine, le képi rouge, et puis le début du camouflage, l’arrivée du casque et des gars qui n’avaient pas plus envie de tuer que de se faire tuer, et sont pourtant devenus des machines de guerre, des machines à tuer… Je suis toujours aussi énervé quand j’emprunte une rue du général machin. Il n’y a jamais une rue des poilus, une rue du peuple, une rue de ceux qui se font toujours avoir…

Pourquoi les avoir installés dans une tranchée ?

D. C. : Quand on lit Gabriel Chevallier, on voit que les mecs n’avaient pas envie d’y aller et que pour s’en sortir, il fallait tuer l’autre, et ça des deux côtés. C’est pour ça que m’est venue l’idée de monter le spectacle dans une tranchée. Ne s’y trouvent pas que des Français, mais des hommes, le peuple, celui qui n’a pas le pouvoir : un Français, un Allemand, un Italien, un Ecossais, et un tirailleur sénégalais, venu se faire tuer pour une poignée de cerises… La guerre devient universelle : il s’agit d’une tranchée universelle de gens qui vivent avec des rats. Il y a aussi une femme, l’Alsacienne, et une histoire d’amour. Evidemment, on me dira que cette guerre n’était pas à cause de l’Alsace-Lorraine, mais cet amour qu’a le poilu pour l’Alsacienne, c’est un peu l’amour entre la France et l’Allemagne, et l’image des enjeux de ce pouvoir qui veut toujours s’étendre, qui veut être chef de tout, et ça, c’est toujours pareil.

Comme d’habitude, Roselyne Bonnet des Tuves a composé la musique et créé l’univers sonore.

D. C. : Pour ce spectacle, sa partie était très importante, car la difficulté, quand on parle de la guerre dans un spectacle vivant, c’est le son. On ne peut pas se contenter de quelques boums… Roselyne a réussi une magnifique bande-son, jouant avec les artifices de fête foraine pour mimer les bombardements de l’aviation ennemie. Avec un côté ludique. J’ai voulu faire comme si c’était des mômes qui jouaient avec des pétards. Parce que, comme toujours, c’était des mômes qu’on envoyait à la guerre.

Propos recueillis par Catherine Robert

 

A propos de l'événement

La Tragédie est le meilleur morceau de la bête
du jeudi 6 novembre 2014 au vendredi 7 novembre 2014
Théâtre Luxembourg
4 Rue Cornillon, 77100 Meaux, France

Tél. : 01 83 69 04 44. Les 20 et 21 novembre à 20h30 à la Scène nationale de Mâcon. Tél. 03 85 22 82 99. Du 11 au 13 décembre à 20h30 à La Serre, 77127 Lieusaint. Tél. : 01 60 60 51 06. Les 27 et 28 janvier 2015 à 20h30, à l’Avant-Seine, 92700 Colombes. Tél. : 01 56 05 00 76. Les 30 et 31 janvier à 21h à L’Onde, 78140 Vélisy-Villacoublay. Tél. : 01 34 58 03 35. Du 25 février au 7 mars au Théâtre des Célestins, 69002 Lyon. Tél. : 04 72 77 40 00.

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