La Terrasse

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Théâtre - Critique

La Source des saints

La Source des saints - Critique sortie Théâtre Aubervilliers La Commune – CDN d’Aubervilliers
Anne Alvaro et Yann Boudaud dans La Source des saints. Crédit : Jean-Pierre Estournet

Théâtre de la Commune et Théâtre de Dijon Bourgogne / de John Millington Synge / mes Michel Cerda

Publié le 24 janvier 2017 - N° 251

Avec un sens aigu de l’épure, Michel Cerda fait résonner toute la singularité de la langue de La Source des saints de l’Irlandais John Millington Synge (1871-1909), qui est aussi le sujet principal de cette pièce centrée sur l’histoire de deux mendiants aveugles.

Si John Millington Synge situe La Source des saints dans une région isolée de montagnes à l’est de l’Irlande il y a un siècle ou plus, Michel Cerda opte pour un plateau presque nu et d’abord très sombre. Un non-lieu d’où se détachent à peine deux silhouettes incertaines. En attente. Dès les premiers mots d’Anne Alvaro et de Yann Boudaud pourtant, on entend la nature. On imagine le « bord de route avec gros cailloux » où se tiennent les deux aveugles qu’ils incarnent : Mary Doul et Martin Doul, couple de mendiants persuadés d’être les plus beaux spécimens d’humains de leur coin d’Irlande. Habitué dans sa jeunesse du Théâtre de l’Abbaye fondé par le dramaturge et poète irlandais à Dublin, Beckett n’est pas loin. Surtout lorsqu’un saint débarque dans le quotidien des mendiants pour leur donner le sens dont ils s’étaient jusque-là assez bien passé, leur révélant leur laideur et celle du monde. Les plongeant dans la solitude. Superbement restitué par la sobre mise en scène de Michel Cerda et par la traduction de Noëlle Renaude qui vient de paraître aux éditions Théâtrales, le langage des marginaux de Synge est toutefois porteur d’un bonheur et d’une liberté absents du théâtre de l’absurde : ceux qui résident dans le maniement des mots.

 

Irruption de l’aube

Très peu connu en France, où seul Le Baladin du monde occidental est régulièrement mis en scène, John Millington Synge déploie dans La Source des saints comme dans l’ensemble de son œuvre une langue bouleversante d’originalité, à la fois concrète et lyrique. Une langue semée d’embûches pour les comédiens, faite selon la traductrice de cris, d’air et de trous, nourrie du désir de Synge de s’approprier l’anglais imposé par le colon et de son intérêt pour la vieille civilisation irlandaise des îles d’Aran. Avec sa voix profonde et pleine de nuances, Anne Alvaro pétrit les mots de Synge avec une énergie presque statique, concentrée dans la gorge et dans les pieds. Elle dit « le soleil s’échauffe en ce jour tard qu’on est dans l’automne » et plus que la chaleur, elle semble désigner l’effort qu’elle accomplit pour la faire tenir dans ses mots. Construite à partir d’un nombre très réduit de sons, la langue de La Source des saints est en effet le sujet principal de cette pièce coproduite par le Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine. Si l’irruption du saint, et avec lui de la lumière, perturbe l’existence paisible de Mary Doul et Martin Doul en les forçant notamment au travail, c’est le dialogue quotidien des deux mendiants qui est transformé. Entre les trois scènes qui marquent le passage des saisons, la parole d’abord foisonnante s’étiole avant de renaître. Promesse d’un printemps malgré la dureté des temps.

 

 

Anaïs Heluin

A propos de l'événement

La Source des saints
du mercredi 25 janvier 2017 au jeudi 2 février 2017
La Commune – CDN d’Aubervilliers
2 Rue Edouard Poisson, 93300 Aubervilliers, France

Théâtre de la Commune, 2 rue Edouard Poisson, 93300 Aubervilliers. Jusqu'au 2 février 2017 à 19h30. Tel : 01 48 33 16 16. www.lacommune-aubervilliers.fr. Également du 7 au 10 février au Théâtre de Dijon Bourgogne.

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