La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2011 Entretien / Emmanuel Négrier

La politique culturelle : entre processus de dépolitisation et stratégies politiques

La politique culturelle : entre processus de dépolitisation et stratégies politiques - Critique sortie Avignon / 2011
Crédit photo : Ludovic Sposito

Publié le 10 juillet 2011

Sociologue, docteur en sciences politiques et directeur de recherche au CNRS, Emmanuel Négrier a mené plusieurs études sur les politiques culturelles territoriales. Il revient ici sur la pertinence du clivage gauche-droite comme grille d’analyse.

Comment la décentralisation et l’implication croissante des collectivités locales ont-t-elle influé sur la définition des politiques culturelles ?
Emmanuel Négrier : Cette évolution a connu plusieurs phases. Jusqu’au début des années 90, le ministère de la Culture a accompagné la décentralisation tout en jouant un rôle pédagogique auprès des collectivités territoriales pour développer une politique culturelle. Peu à peu, sous l’effet de ce « magistère », ces dernières se sont dotées de services spécifiques, ont structuré des filières et tissé des réseaux nationaux, si bien que les pratiques se sont professionnalisées. Depuis les années 1995, alors même que le ministère montre des signes d’essoufflement et que sa capacité d’action sur les politiques culturelles s’amenuise, les collectivités revendiquent des compétences et une autonomie en la matière. Cette montée en puissance a conduit les acteurs culturels à se situer dans des logiques politiques qu’ils n’avaient pas auparavant intégrées aussi directement. Même si les considérations corporatistes et les solidarités de réseaux influent dans les discussions avec le ministère, la dimension politique de la négociation des projets est plus explicite avec les collectivités territoriales car celui qui décide est non pas un professionnel de la culture mais un élu nécessairement généraliste, qui, même adjoint à la culture, peut aussi vouloir soigner son territoire et chercher des effets politiquement désirables.
 
Observez-vous un réel clivage gauche-droite dans les politiques culturelles territoriales ?
E. N. : La question est complexe puisque la mise en œuvre d’une politique culturelle suppose un certain consensus entre les forces politiques et donc une euphémisation de l’influence du politique, la culture étant considérée comme un bien commun échappant au clivage gauche-droite. C’est aussi ainsi que l’on comprend l’entreprise conduite par Malraux au début des années 60. Néanmoins, on peut distinguer quelques caractéristiques ou instruments qui se retrouvent selon que les politiques sont menées par des collectivités de droite ou de gauche. Par exemple, la fonction d’appui à l’action culturelle, à la lecture publique, aux enseignements artistiques et au spectacle vivant, les tarifications modulées selon le quotient familial relèvent plutôt d’une conception de gauche, tandis que l’attachement aux institutions proches du patrimoine ou de l’hyper contemporain et une politique de prix fixes quelle que soit la situation des personnes correspondent plutôt à une vision de droite. Le problème est que certaines collectivités territoriales de gauche font des politiques de droite, et inversement.
 
« Certaines collectivités territoriales de gauche font des politiques de droite, et inversement. »
 
La situation semble paradoxale : d’un côté, on assiste à une politisation, au sens politicien, puisque des préoccupations politiques agissent au niveau local pour déterminer certaines priorités, et, de l’autre, on voit une dépolitisation au sens de la politique comme vision d’action.
E. N. : Le processus de dépolitisation découle de la professionnalisation des politiques culturelles, qui désormais doivent correspondre à des standards, qui sont en partie définies par des techniciens et non plus seulement par l’adjoint à la culture. Les cofinancements obligent en outre les collectivités territoriales à s’assurer que les dossiers sont recevables sur le plan artistique, y compris par le ministère. Mais, d’autre part, se produit aussi une politisation, au sens de l’utilisation de la culture en tant que secteur à des fins politiques. Que la culture fasse l’objet de stratégies politiques est le mieux qu’on puisse lui souhaiter, parce que le jour où elle ne le sera plus, les financements publics en subiront les conséquences directes.
 
Le clivage gauche-droite sur le plan culturel a évolué. Autrefois un corpus, recouvrant des conceptions sur le capitalisme, la culture ou les mœurs, définissait un positionnement à gauche ou à droite. Aujourd’hui les lignes semblent plus brouillées.
E. N. : Cette disjonction s’est en effet accentuée entre les positions libérales et conservatrices sur les diverses dimensions de l’activité humaine. Le XXe siècle est traversé de ces scissions entre esthétique, société et politique. Par exemple, les avant-gardes italiennes durant le fascisme…
 
Comment la crise des finances locales affecte-t-elle la politique culturelle ?
E. N. : Elle provoque des réponses très différentes selon les rapports de forces politiques, le tissu culturel et l’implication des collectivités territoriales : réduction appliquée selon un même pourcentage à tous les acteurs soutenus, financements recentrés sur les grosses institutions ou au contraire sur les petites structures pourvoyeuses d’emplois, ou encore définition de secteurs prioritaires ou non. Maintenant, l’expression d’une politique est mesurée à la nature même de la baisse des budgets : où, et pourquoi, et comment ?
 
Entretien réalisé par Gwénola David

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