La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2017 - Entretien ENTRETIEN / Olivier Poivre d’Arvor

La France, un pays de culture et d’ouverture

La France, un pays de culture et d’ouverture - Critique sortie Avignon / 2017
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Publié le 25 juin 2017 - N° 256

« Il n’y a pas de culture française » : cette phrase d’Emmanuel Macron a lancé un débat dans la campagne pour les élections présidentielles. Olivier Poivre d’Arvor, impliqué depuis toujours dans la culture, ambassadeur de France en Tunisie depuis 2016, nous livre sa vision.

Selon vous, existe-t-il une culture française ?

OPDA : D’abord distinguons politique culturelle et culture. La politique culturelle existe depuis longtemps en France. Il faut déjà s’en féliciter car beaucoup de pays y prétendent mais n’en ont pas les moyens, n’en ont souvent pas l’ambition, ni nécessairement la tradition. Nous avons une tradition de politique culturelle, les moyens, et parfois l’ambition. Et c’est sur le parfois que se joue notre réputation, car le monde entier s’attend à ce que la France surprenne avec cette idée simple que le pays est plus grand par sa culture que par sa surface géographique. Et c’est le cas ! Il faut souligner que cette politique culturelle est forte du nombre de gens qui la consomment. L’Etat la subventionne à hauteur de 10 milliards (budget 2017), les collectivités territoriales pour un montant assez semblable, et les Français sont les premiers pourvoyeurs de la culture puisqu’ils achètent chaque année pour environ 70 milliards de produits culturels et de spectacles. Cette réalité s’incarne dans le cinéma. En effet, les Américains réalisent la rentabilité de leurs films, non pas aux Etats-Unis, mais en exportant en Europe et très largement en France. Ensuite, la France est forte non pas de sa culture, mais parce qu’elle est un pays de cultures. Au singulier comme au pluriel, peu importe si cette culture est bretonne, française, européenne, internationale. Nous sommes le pays qui accueille le plus les cultures étrangères. Y compris par des apports endogènes qui sont ceux d’une culture d’un ancien Empire colonial, digérée, et ensuite acceptée dans sa différence. Nous sommes capables aussi bien de voir un film coréen qu’un artiste mexicain, que de lire, traduit en quelques semaines après sa publication, un ouvrage suédois. Bref, c’est ça qui, pour moi, fait la différence. Et cette extraordinaire plate-forme du monde est notre vraie richesse. L’Orient est présent dans ce pays, à travers sept ou huit millions de personnes d’origine maghrébine qui vivent ici. Ce qui implique forcément une influence du Sud de la Méditerranée en train de se développer, et c’est bien ainsi. Donc ce débat à propos de la culture française face aux cultures du monde est un débat inventé de toutes pièces. Certains rappellent qu’existe un socle, un patrimoine chrétien, c’est vrai, mais cela n’empêche en rien d’intégrer d’autres univers.

« Il reste à écrire quelque chose qui serait une politique culturelle de la participation. »   

Et que pensez-vous de l’absence de discours sur la culture pendant les élections présidentielles ?

OPDA : Je ne m’en plains pas, pour les avoir suivis sur quelques présidentielles, ces débats autour de la culture sont souvent redondants et sans réelle pensée nouvelle. Entretemps des réalités sont apparues qui sont le numérique, les GAFA (acronyme constitué des géants Google, Apple, Facebook, Amazon NDLR), tout cet univers impensé jusqu’alors qui brouille le discours qui pouvait exister sur l’éducation culturelle, par exemple. Tout le monde s’accorde à dire qu’il est important que tous les jeunes aient accès à la culture au-delà de leurs milieux sociaux, mais pour autant, on n’a pas inventé grand-chose. Le discours traditionnel sur la culture a été débordé par l’arrivée du numérique et aucun discours politique ne l’a intégré. Or, si cette pensée était formulée, elle dirait qu’il y a aujourd’hui une tension paradoxale, entre une culture qui serait une transmission des sachants à ceux qui ne savent pas, qui ont envie de savoir, et puis une autre approche plus rhizomatique, moins prescriptrice, moins décrétée, moins pyramidale, et, le mot est classique, plus participative. En ce sens il reste à écrire quelque chose qui serait une politique culturelle de la participation. Elle n’opposerait plus le professionnel à l’amateur, le privé au public, les arts à la science. Il y aurait la capacité de tout un chacun à être créatif, à intervenir, à compléter, à produire des encyclopédies en ligne. Elle mettrait en avant un espace critique et constructif qui serait celui du public, parce que le public vient ou ne vient pas, applaudit ou pas, mais rien d’autre.

Que faudrait-il inventer pour être à la hauteur de ces nouveaux défis ?

OPDA : Jacques Delors disait que son échec quand il était à la tête de la Commission européenne, c’était de ne pas avoir pensé une politique culturelle européenne des médias audiovisuels. Il faudrait aujourd’hui créer une politique européenne du champ numérique. Une  politique aéronautique européenne a permis le développement d’Airbus, ce serait bien qu’on ait des Airbus culturels ! Nous avons besoin d’un grand dessein culturel, qui ne passe pas nécessairement par de vastes investissements fonciers. D’une certaine façon, Emmanuel Macron, en commençant son quinquennat par une grande traversée du Louvre, a rappelé l’importance d’une vision culturelle. Reste maintenant à ce quinquennat, au-delà du symbole, à construire un projet culturel qui passe par l’éducation, pour toucher des millions de jeunes. Dès 2018, nous pourrions créer un projet qui réconcilie les tenants du patrimoine et ceux de la création, et surtout, un projet européen. Je dis souvent et j’ai dit au nouveau président de la République, que la France devait être porteuse de la grande idée du 1% de budget communautaire. Qui, si ce n’est la France, la portera ? Le 1% du budget global, plus ou moins accompli en France, me paraît une bonne base. Si on y agrège des revenus nouveaux qui pourraient être ceux des GAFA ou des initiatives privées – qui sont nombreuses -, cela aiderait des projets à naître, des artistes à exister, des compagnies à réaliser un travail durable. On a besoin aujourd’hui de penser à une échelle européenne, ne serait-ce que pour coproduire des spectacles, des œuvres, mais aussi pour développer une culture numérique.

Pour vous la diplomatie culturelle – le soft power – est-elle une bataille essentielle à mener aujourd’hui ? 

OPDA : Une politique forte va de pair avec une politique d’échanges ambitieuse, mais pour cela les crédits culturels de la diplomatie doivent cesser de baisser. La question de la francophonie est aussi à penser dans une perspective ouverte sur le monde. À l’horizon 2050, il y aura 500 à 600 millions de francophones, soit plus du double qu’actuellement. Notre réseau culturel, porté par nos institutions, infrastructures et agents, devrait s’inscrire dans une politique concertée autour de l’attractivité, qui fait aujourd’hui défaut. La dispersion des opérateurs concernant la coopération, les arts, le développement, la science pourrait faire place à des rapprochements féconds. Ce sujet du rayonnement à travers principalement la culture mérite une grande détermination, et n’est pas nécessairement très coûteux.

 

 

Propos recueillis par Agnès Izrine

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