La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

La musique contemporaine dans tous ses états

Pourquoi devenir compositeur ?

Pourquoi devenir compositeur ? - Critique sortie
Philippe Hersant © Alvaro Yanez Ahmed Essyad © Marthe Lemelle Suzanne Giraud

Publié le 17 novembre 2013

Réponses très personnelles, explications diverses et tons variés. Et souvent revient cette spécificité des artistes, l’idée d’un choix ancré au fond de soi comme une évidence, d’un choix qui se révèle plus qu’il ne se réfléchit… 

 « Je n’ai pas fait le choix de devenir compositeur, j’ai toujours voulu l’être depuis la première enfance ». Hugues Dufourt

 

« Cette occupation me procure, la plupart du temps, beaucoup de plaisir ». Philippe Hersant

 

« Pour mettre en forme mon monde intérieur. » Thierry Escaich

 

« La seule réponse possible à mon angoisse quotidienne de la mort et de la fuite du temps. » Guillaume Connesson

 

« J’écris pour communier avec ceux qui m’écoutent. » Frédéric Verrières

 

 

François Bayle

né  à Tamatave (Madagascar) en 1932

 Je veux provoquer le désir d’écoute, l’aiguiser, le retourner en écoute du désir ! Ainsi dès mes premières immersions dans le monde des sons, celui des Murmures des eaux dans la grotte de Jeîta, mais aussi avec L’Expérience Acoustique ou Son Vitesse-Lumière, j’ai agencé formes et élans, empreintes et signes, pour surprendre l’attention flottante. Et à travers la vie de la matière phonique, que ce soit dans mon Théâtre d’ombres ou mes Morceaux de Ciels, je ne propose rien d’autre que d’ouvrir une Oreille étonnée sur l’Univers nerveux de mes métaphores…

Xavier Dayer

Né à Genève en 1972

« Pourquoi devenir compositeur ? C’est une question que je me pose quasiment chaque jour et les réponses peuvent varier… Une chose est pourtant certaine : j’ai le sentiment de ne pas avoir encore entendu la musique que j’imagine, donc la quête vers cette musique inouïe est la raison de mon choix d’être compositeur. Mais il en va surtout de ces moments si intenses que l’on peut vivre lorsqu’une oeuvre s’élabore ; on devient, d’une certaine manière, addict à de tels moments. Et puis il y a le lien aux interprètes : pour moi, composer est une lettre d’amitié qu’on leur écrit en premier lieu. »

Hugues Dufourt

Né à Lyon en 1943

« Je n’ai pas fait le choix de devenir compositeur, j’ai toujours voulu l’être depuis la première enfance. Allez savoir pourquoi. M’est avis, sans employer de gros mots qui agacent les psychanalystes, que la composition est l’automédication de la psychose. Ce n’est pas je pense donc je suis, c’est je compose donc je me soigne. »

Ahmed Essyad

né à Salé en 1938

« Un jour de l’année 1955, dans notre lycée à Rabat, deux hommes sont venus nous présenter le projet d’ouvrir un conservatoire pour enseigner la musique. Notre destin alors nous semblait tout tracé. Moi, je devais partir à Damas pour mes études universitaires. Tout avait été réglé. L’un des hommes avait un instrument que je n’avais jamais vu auparavant. Il l’a mis entre ses jambes, et a commencé à jouer une musique absolument inédite pour moi. Ma destinée a changé : cette musique fut ma lumière. Plus tard je sus que c’était la sixième suite pour violoncelle de Bach, suivie de la première. Le lendemain, j’allais m’inscrire : je fus le premier élève de ce conservatoire que fondait Jacques Bugard. »

Francesco Filidei

Né à Pise en 1973

« Pourquoi devenir compositeur ? Parce qu’il n’y a rien de mieux pour séduire les filles que d’écrire de la musique contemporaine, surtout si c’est pour orgue et si on habite à la campagne en Italie : succès assuré ! »

Suzanne Giraud

Née à Metz en 1958

« Je suis devenue compositrice petit à petit. Cela n’a pas été flagrant dès mes plus jeunes années. Ce qui me paraissait le plus beau au monde, c’était d’écrire, le geste d’écrire. À trois ou quatre ans, les yeux à hauteur de table, je suivais, fascinée, les signes d’encre qui se traçaient devant moi lorsque mon père, à sa table, travaillait. Puis j’ai formé le vœu d’être écrivain. J’avais des facilités. Alors on m’a dit : « écrivain, ça n’est pas un métier ». À ce moment-là, le ciel m’est tombé sur la tête. Je n’ai plus su ce que je voulais. J’ai poursuivi mes études en écrivant beaucoup. Mais un beau jour, ayant enchaîné au conservatoire les premiers prix en analyse, écriture et orchestration, je me suis dit que la suite logique de tout cela, qui rassemblerait geste d’écrire, récit et musique serait la composition. À partir de là, tout s’est enchaîné très vite. Je me suis faite autant que l’on m’a fait compositrice. »

Philippe Hersant

Né à Rome en 1948

« Je n’ai jamais pensé – en ce qui me concerne – que le fait d’être compositeur résultait d’un choix. Bien que n’appartenant pas à une famille de musiciens, j’ai commencé à étudier la musique très tôt et, du plus loin qu’il m’en souvienne, j’ai toujours voulu composer. Certes, la belle assurance que j’avais durant mon enfance a laissé place au doute à l’adolescence et au début de l’âge adulte. Je me suis imaginé d’autres destinées, littéraires ou cinématographiques, et je suis resté de longues années sans écrire une seule note de musique. Le désir de composer semblait alors m’avoir définitivement quitté. Pourtant ce désir était toujours là ; il a resurgi à l’âge de 30 ans lorsque j’ai été admis à la Villa Médicis, et il ne m’a jamais quitté depuis. Je serais bien en peine d’expliquer pourquoi… Je constate simplement que cette occupation me procure, la plupart du temps, beaucoup de plaisir. »

Sebastian Rivas

Né à Châtenay-Malabry en 1975

« Dans mon cas, le choix de devenir compositeur tient à la certitude qu’il y a une infinitude de sons et bruits à cueillir et à organiser et qui demeurent encore embryonnaires. L’Histoire de la musique est l’histoire de l’inclusion progressive du bruit dans le discours. Notre perception s’affine et ce qui semblait inaudible devient jouissance auditive dès lors qu’on prend le temps de l’organiser dans un discours. La découverte de cette attitude a été pour moi la certitude que rien – malgré l’immense littérature musicale – n’avait été « dit » et que la musique ne pouvait s’épuiser. Ces derniers temps, j’ai même l’impression qu’il y a là un territoire encore à défricher. C’est donc par volonté ludique autant que par un désir de conquête qu’on fait le choix de devenir compositeur. Et c’est en perdant de vue ces deux aspects qu’on prend le risque de ne plus l’être. »

Oscar Strasnoy

Né à Buenos Aires en 1970

« Avoir le choix implique avoir d’autres possibilités : artiste ou ministre, artiste ou orthodontiste. Je dirais que lorsqu’on se pose ce type de questions, c’est déjà trop tard. Le vrai artiste n’a pas le choix. Il est compositeur, écrivain ou peintre depuis toujours, sans même avoir eu à réfléchir. À l’âge où la plupart des gens cherchent l’équation idéale entre confort matériel et confort mental, l’artiste est déjà en activité depuis longtemps, sans se soucier de tout le reste. Il n’a pas de temps à perdre, comme les banquiers ou les politiques. Sa vocation est instantanée et souvent définitive. S’il a tendance à trop réfléchir, il vaut mieux qu’il soit pédagogue. Ou critique. Ou, au pire, les deux. »

Thierry Escaich

Né à Nogent en 1965

« Pour mettre en forme mon monde intérieur, mon « chaos intérieur » aurait dit Nietzsche, trouver les moyens  techniques les plus efficaces pour le rendre perceptible, intelligible à l’autre, d’où ce besoin à chaque pièce d’aller plus loin, plus au fond du propos  que la précédente, mais aussi progressivement ailleurs pour faire évoluer vers d’autres horizons ce magma intérieur originel. D’ailleurs, chez moi, les trois axes principaux de mon expression musicale (composition, improvisation et interprétation) ont, dès le début, été intimement liés et je ne cesse de passer de l’un à l’autre dans un désordre volontaire, comme si je ne voulais pas arrêter ce flot ininterrompu de musique qui s’écoule en moi quelle que soit la manière de l’extérioriser. Mais ils sont tous dirigés vers l’auditeur que je veux entraîner dans ce monde et ne pas lâcher jusqu’à ce qu’il en perçoive les moindres recoins. Si je n’y parviens pas, c’est que j’ai échoué, c’est que la pièce est faible, académique… »

Guillaume Connesson

Né à Boulogne-Billancourt en 1970

« C’est une question particulièrement complexe que de dire le pourquoi de ce que nous sommes !  Mais il m’a toujours semblé qu’écrire de la musique était la seule réponse possible à mon angoisse quotidienne de la mort et de la fuite du temps. Si la musique est justement l’art du temps, alors le reconstruire, tenter de le maîtriser l’espace d’une œuvre, est la seule activité humaine qui me donne à ce point le sentiment d’être. J’ai senti que je voulais être compositeur à huit ans, six mois après avoir commencé la musique : au fond je ne me souviens plus vraiment de moi intérieurement avant cette envie d’écrire. En revanche, je me souviens parfaitement de cette volupté teintée d’angoisse et de doutes devant mes premiers essais ! Pendant l’adolescence, l’étude des grands modèles et l’admiration que je leur vouais m’ont conforté dans ce désir. Et aussi bien sûr les rencontres importantes, comme celles de Marcel Landowski et de Jean-François Zygel. Mais plus que tout, c’était et c’est l’évidence de consacrer ma vie à la quête sans fin de ce lieu – qui toujours se dérobe – où le Beau abolit la mort : la tension vers cet Inaccessible me fait ressentir à chaque fois la nécessité d’entamer une nouvelle pièce. »

Frédéric Verrières

Né en France en 1970

J’écris de la musique « par hasard et pas rasé »… Pendant l’adolescence j’étais très cinéphile – je le suis toujours –  et j’avais tout autant  le désir de réaliser des films que de composer. Une de mes premières tentatives d’artiste a été de réaliser un court métrage et d’en écrire aussi la musique. J’étais également plutôt doué pour le dessin et je lisais suffisamment pour avoir envie d’écrire moi-même. Je suis donc  avant toute autre considération un artiste, un créateur  qui écrit presque par hasard de la musique  et je ne tire aucune réelle satisfaction dans le fait de maîtriser l’artisanat furieux du compositeur. L’important c’est de trouver sa propre force conceptuelle, d’avoir une vision : c’est ce qui rend heureux au-delà du travail besogneux.   J’écris pour le public. Je veux écrire  pour ce qu’Alain Badiou nomme « un  public de hasard », et non pas un public de spécialistes. J’écris pour communier avec ceux qui m’écoutent.

Andy Emler

Né à Paris en 1958

T’es gamin, tu apprends à jouer du piano avec la dernière descendante d’une famille d’organistes, Marie-Louise Boëlmann-Gigout, tu improvises, elle se marre, elle aime bien, et tu commences à rédiger des impros… Je pense que ça a commencé de cette façon. Après tu joues en groupe (rock-pop-jazz) et tu prends plaisir à amener des idées voire des propositions de compositions, et ton ego se régale d’entendre le groupe jouer tes « œuvres », je pense que ça a commencé de cette façon. Ensuite tu réfléchis et tu écris, puis tu écris et tu réfléchis et tu écris encore et encore et tu es accroc à l’écriture… à vie. Je pense que ça se terminera de cette façon.

Vincent Bouchot

Né à Toulouse en 1966

Je ne me dis jamais que je SUIS compositeur, mais il se trouve que j’écris de la musique. Je SUIS chanteur parce que c’est officiellement mon métier. Je gagne aussi ma vie en composant, mais cette activité a pour moi quelque chose de parallèle, de récréatif, de thérapeutique, d’obsessionnel, mais aussi de secret, de presque honteux parfois. J’ai souvent l’impression que les compositeurs du XXème siècle que j’aime par dessus tout (Poulenc, Milhaud, Ravel) sont mes proches parents, des oncles, des grands-pères. La liste des œuvres d’un compositeur, je veux dire l’accumulation, la variété, l’exhaustivité, me fascine souvent plus que sa musique elle-même, et je cherche probablement, en écrivant beaucoup, à remplir les cases laissées en blanc d’une liste imaginaire. Je ferais n’importe quoi pour que ma musique plaise au plus grand nombre : quand on me dit que ma musique est jolie, je suis aux anges. Je n’ai aucune ambition au-delà de ça.

Philippe Schoeller

Né à Paris en 1957

Par instinct. Par passion. Par goût. Pour être ensemble. Pour jouir de la vie sensible, inventer selon la Nature du sonore.  Le flair. La vibration.  L’énergie de vie anime tout. Je n’écris pas pour moi, mais  pour faire, pour agir, pour construire comme une science du partage. Une science du goût, donc. Avant toute chose on aime la musique. Ou non. Or jamais on aime seul. Partager la science de cet instinct bien précis : le langage du vibré, de sa lumière, oui, comme pour les yeux, mais invisible. Approcher les mystères du langage. Mais où chacun inventera sa signification. La beauté de la musique existe. Il faut l’attraper, la capter, la transcrire. Composer  pour partager, donc.

Richard Dubugnon

Né à Lausanne en 1968

Mon besoin permanent d’inventer existe depuis l’enfance, comme une réaction automatique aux autres créations humaines qui m’inspirent, un trop-plein d’énergie dont je dois me débarrasser et dont la meilleure et plus immédiate manifestation se fait à travers la musique. Je n’ai aucune ambition à révolutionner l’Histoire de la musique. Pour reprendre une phrase de mon compatriote Frank Martin, « chercher à créer de la beauté est un acte d’amour « Mon but est d’écrire une musique qui sonne bien, soit bien construite et stimulante à jouer.

 

Propos reccueillis par Jean-Guillaume Lebrun et Jean Lukas

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