La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

La formation théâtrale en France

Le théâtre : lieu d’accomplissement de soi avec les autres, en prise sur le monde

Le théâtre : lieu d’accomplissement de soi avec les autres, en prise sur le
monde - Critique sortie

Publié le 10 mars 2011

Le metteur en scène Jacques Lassalle ? pour qui enseigner c’est déjà mettre
en scène et mettre en scène c’est encore enseigner – revendique l’art de la
transmission comme un devoir éthique et artistique.


Vous avez eu une classe d’interprétation au Conservatoire durant douze ans
après avoir enseigné à l’École du TNS et à PARIS-III. Comment transmet-on le
théâtre ?

Jacques Lassalle : Avec une histoire personnelle. J’ai été formé au
Conservatoire de Nancy puis au Conservatoire de Paris. J’étais un élève en
rupture car j’avais le sentiment de m’être trompé dans cette école qui
revendiquait une tradition française de la diction, avec la scène comme unité
pédagogique dans l’ignorance de la moindre problématisation de l’oeuvre. On
décrétait, pour des raisons qui tenaient à la fois de l’anatomie et de la
psychologie, que nous étions nés – nous, les acteurs – pour jouer un certain
type de caractères. En même temps, ce début des années 60 correspondait à des
mutations politiques et historiques, celles de la Guerre froide et des guerres
coloniales. Esthétiquement, c’était l’époque de la Nouvelle Vague ; certaines
pratiques scéniques, tant en France qu’à l’étranger, différaient sensiblement
des habitudes. C’était l’heure du brechtisme, de la lecture et de la
représentation critiques des ?uvres, de la tension affirmée entre l’ailleurs et
l’autrefois du texte et l’ici et maintenant de la représentation. Au
Conservatoire, nous étions les relais d’une tradition et non d’une réflexion
personnelle, les meilleurs instrumentistes d’un style ou les serviteurs d’un art
avec le texte comme partition. Je vivais cette formation comme une impasse, un
contresens à contre-courant de ce qui me fascinait, tel À bout de souffle
de Godard’ Mais j’apprécie ce que je dois à cet enseignement auquel je
résistais.

Comment définissiez-vous ce monde du théâtre ?

J. L. : J’avais l’impression d’un domaine travaillé par des vanités et
des insignifiances, un monde qui se refermait sur lui-même en récusant la
réalité et l’Histoire. Le théâtre m’apparaissait comme une fuite hors du réel,
même s’il était exercé avec passion, exigence et virtuosité. La rencontre avec
la ville ouvrière de Vitry-sur-Seine où j’ai dirigé le Théâtre Jean Vilar m’a
permis d’affronter ces deux réalités, le monde et la scène, ensemble. Lieu
d’accomplissement de soi avec les autres – entre humanité et citoyenneté -, le
théâtre réfléchit le monde.

« J’en appelle à un acteur réfractaire qui résiste et me demande raison? »

La passion du cinéma a-t-elle orienté la qualité de votre regard ?

J. L. : Mis à part l’atypique Renoir, mes maîtres au cinéma, Bresson,
Dreyer, Ozu? sont des esthètes du silence et du moindre dire. J’ai recherché au
théâtre cet espace de la non performance, de l’économie et de la matité. Pour ce
théâtre-là, le metteur en scène ne peut être accompagné que des plus grands,
ceux qui disposent d’une telle maîtrise de leur art qu’ils prennent le risque de
l’oublier pour se mettre en situation de dénuement et de vulnérabilité. Les
acteurs existent davantage dans un apparent renoncement à eux-mêmes que dans la
vérification d’une image attendue.

Qu?est-ce qu’un bon acteur ?

J. L. : L’acteur idéal doit non seulement entraîner le plus loin possible
le spectateur à l’intérieur de la fiction représentée, mais il doit aussi lui
donner à rêver et le rendre actif. J’en appelle à un acteur réfractaire qui
résiste et me demande raison, non pas par goût du conflit ou de la discussion,
mais pour chercher et douter avant de reconnaître ce que nous savions déjà.
Aujourd’hui, le jeune acteur français est souvent entraîné dans une sorte de
naturalisme bon enfant de série télé ou bien dans des outrances provocatrices à
la modernité passagère, qu’elles soient corporelles, vocales ou dramaturgiques.
Il m’arrive de m’adresser aux acteurs, comme mes professeurs au Conservatoire de
jadis : je les invite à soutenir les finales, à articuler, à goûter l’expression
du texte. La tradition de la diction française, même si elle s’était archaïsée,
était à tout le moins un trésor. Je ne crois pas que l’école donne du talent
mais on ne peut se passer d’une formation. Les grandes académies européennes de
l’acteur adoptent un enseignement pluridisciplinaire et exigeant ? la Pologne,
la Russie, l’Allemagne, l’Angleterre? En vue d’artistes adultes et responsables,
en questionnement et en prise franche sur le monde.

Propos recueillis par Véronique Hotte

Conversations sur la formation de l’acteur

Jacques Lassalle, Jean-Loup Rivière CNSAD Actes Sud-Papiers

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