La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Etat des lieux de la danse en France

Le primat à la création

Le primat à la création - Critique sortie
Crédit : ©élie

Publié le 30 novembre 2011

Patrick Germain-Thomas, professeur d’économie et de gestion, a mené un travail unique en son genre : sa thèse pour le doctorat de sociologie à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Politique et marché de la danse contemporaine en France (1975-2009), aborde la danse contemporaine à la fois sous l’angle de l’intervention publique et de ses rapports avec le marché.

Qu’entendez-vous par la notion de marché ?
Patrick Germain-Thomas :
A partir du moment où ce sont des théâtres subventionnés qui programment des spectacles subventionnés, pourquoi ne pourrait-on pas parler d’une politique et d’un art d’Etat ? Parce qu’il existe sur ce secteur des ressources d’origine purement privée, comme celles des spectateurs qui payent leurs places. Et puis existent d’autres mécanismes marchands, via l’achat et la vente de représentations entre les compagnies et les lieux. Ces transactions se font dans un contexte d’économie mixte, avec une grande part des ressources qui provient de fonds publics, mais néanmoins avec des transactions d’achats et des négociations qui portent sur les prix. Ce marché, je l’ai appelé le marché subventionné du spectacle de danse contemporaine. L’activité de la danse contemporaine n’existerait pas dans les mêmes proportions s’il n’y avait pas d’intervention publique. Elle remonte véritablement au tournant des années 70 avec l’action de Michel Guy. Il reconnaît la danse comme un secteur à part entière de l’intervention publique, et permet en France le développement de la danse contemporaine.

« Ce qui reste constant, c’est l’écart entre l’offre, le nombre de spectacles créés chaque année, et les débouchés offerts par la diffusion. »

Quelles sont les lois qui régissent ce marché de la danse contemporaine ?
P. G.-T. :
Depuis Jack Lang, nous sommes dans une politique très forte de développement de l’offre, avec une multiplication des subventions, des compagnies, une augmentation de l’aide à la création. Au début des années 2000 a lieu un tassement de ce développement. Ni retrait, ni désengagement, mais une moindre croissance. Globalement, le développement de la diffusion s’est opéré dans des proportions comparables au développement de l’offre. Mais ce qui reste constant, c’est l’écart entre l’offre, le nombre de spectacles créés chaque année, et les débouchés offerts par la diffusion. C’est un marché structurellement déséquilibré, dans lequel les compagnies vivent sur une tripartition des ressources : les aides à la création, les coproductions, et les ventes de spectacles. La coproduction, c’est une forme d’engagement des lieux de diffusion dans la création ; c’est de cette façon qu’ils acquièrent une légitimité au sein de leur milieu professionnel. Concernant la vente des spectacles, le déséquilibre chronique entre l’offre et la demande a une conséquence assez basique qui est de faire baisser le prix des représentations. Les compagnies ne réalisent plus de marges, elles vendent au « coût plateau ». Cela signifie que les coûts de production ne sont pas pris en charge par la diffusion, les représentations ne permettent pas de financer la production. Ne serait-ce pas le rôle des subventions ? C’est en partie vrai, pour les CCN qui ont des budgets importants, mais pas pour les compagnies indépendantes. Pour financer les coûts de production, les artistes ont besoin de coproducteurs. Tout le secteur génère alors un primat à la création, une sorte d’emballement à la création, avec des difficultés de diffusion. L’économiste Joseph Schumpeter parle de « tourbillon innovateur »2.

Vous dites que l’on est aujourd’hui à un tournant. Pourquoi ?
P. G.-T. :
Depuis 2005, le développement de la danse se stabilise. Et la logique économique outrepasse la logique artistique et la pousse à un extrême. Cette logique ne va pas dans le sens d’une ouverture au corps social dans son ensemble. Howard Becker3 dit qu’à un moment donné, pour qu’un monde artistique existe, il faut que ses conventions se diffusent toujours davantage. Si les conventions,  l’histoire, les techniques, les particularités d’un art ne sont pas mieux connues du public, on risque d’arriver à un palier et à un rétrécissement de ce monde sur lui-même. L’éducation artistique est la base de la formation à long terme d’un public. On se rapproche alors de l’idée d’augmenter la demande et de la notion de démocratisation, on ajuste le projecteur sur le public, non pas en disant qu’il faut coller à ses attentes, mais avec l’idée de former un public connaisseur de l’histoire de la danse, des artistes, de leurs démarches. Voilà le sens du tournant, pour moi, aujourd’hui. C’est l’enjeu majeur pour l’avenir de la danse contemporaine.

Propos recueillis par Nathalie Yokel

1 Politique et marché de la danse contemporaine en France (1975-2009), de Patrick Germain-Thomas, sera publié en juin 2012 aux éditions de l’Attribut.
2 Capitalisme, socialisme et démocratie, J. Schumpeter. Paris, Payot, 1990.
3 Les Mondes de l’art, H.S. Becker. Paris, Flammarion, 1988.

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