La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

La formation théâtrale en France

« La volonté de l’acteur doit pouvoir avant tout s’exprimer corporellement. »

« La volonté de l’acteur doit pouvoir avant tout s’exprimer corporellement. » - Critique sortie

Publié le 10 mars 2011

Michel Caserta dirige la Biennale de Danse du Val-de-Marne ? Centre de
développement chorégraphique, fort d’une carrière de danseur bien remplie,
gourmand de techniques et d’esthétiques variées, chorégraphe impliqué dans la
formation du danseur au sein du Conservatoire de Vitry-sur-Seine. Il défend
l’importance du travail sur le corps, outil remarquable d’expressivité, dans la
formation de l’acteur.

Peut-on considérer que la danse ait un rapport avec la formation théâtrale ?

Je crois que nous sommes dans une période dite de mouvement. Le mouvement est
partout présent, dans nos têtes comme dans la société. Il peut très bien être
assimilé par d’autres formes d’expression comme le théâtre, la musique, la
photographie? La danse a ce bonheur de pouvoir réfléchir aux modes d’expression
dont le corps est le principal outil pour faire passer des émotions et
rechercher des formes. Je comprends que les gens de théâtre aient envie d’être
approchés par la danse et par le travail sur le corps car dans leur formation
cela peut faire défaut.

Pourquoi ?

Je crois qu’en France, le théâtre est avant tout une démarche intellectuelle,
une réflexion qui implique le corps mais sans technique appropriée, sans
apprendre à marcher ou à se tenir dans certaines postures. Fondamentalement la
culture en France est construite autour du livre, de l’écrit, de la parole, du
texte. C’est sa grande force tout comme sa faiblesse, car elle a gommé le corps
au profit d’une analyse qui peut faire des dégâts car elle n?implique ni la
sueur ni la saveur de ce que peut donner un corps. Pourquoi, dans la plupart des
films français, les combats d’épées sont-ils doublés, alors que les acteurs
américains peuvent impliquer leurs corps immédiatement ? On connaît le
retentissement de la comédie musicale américaine, cela n?y est pas étranger.
J’ai été assistant à la mise en scène pour des pièces de Molière, où j’ai pu
travailler sur le poids du corps et les postures des acteurs, choses qu’ils ne
faisaient pas spontanément. La volonté de l’acteur doit pouvoir avant tout
s’exprimer corporellement. Nous avons la chance, dans notre métier de danseur,
de pouvoir constamment observer notre corps sans avoir à apprendre un texte ou
composer un personnage. Quand Maguy Marin a travaillé sur May B, elle n?a
pas demandé aux danseurs de jouer ou de marcher comme des « petits vieux », mais
elle a avant tout élaboré avec eux une partition gestuelle. Le travail qui en
résulte est pourtant tout aussi théâtral ! C’est la posture et le corps qui
importent.

 

« Le corps est un réceptacle qui va influencer notre mode d’agir et de
parler. »

Cela n?est-il toujours pas une évidence ? Il y a eu des expériences centrées
sur le corps, comme la biomécanique de Meyerhold ou les lois géométriques
appliquées au corps par le théâtre du Bauhaus.

Il n?y a pas d’évidence, mais on y vient peu à peu. Et l’on peut très bien
associer ces techniques, sans oublier de travailler sur le sensible, car cela
fait partie de la même chose. Il y des comédiens dont on ne s’étonne plus du
succès : regardez Depardieu, c’est un corps ! Certains acteurs ont l’intuition
de ces choses-là, ils en ont le goût. J’aime me poser la question de ce qui
influence quoi : est-ce la voix qui influence le corps, ou le corps qui
influence la voix ? En hip hop par exemple, la scansion du rap a été influencée
par les mouvements du corps. Je pense que la marche, son rythme, le poids du
corps, la posture, ont une influence sur la voix, et non le contraire. Je ne
peux pas l’affirmer, mais c’est une réflexion que je mène depuis longtemps. Le
corps est un réceptacle qui va influencer notre mode d’agir et de parler. Un
acteur comme Lucchini, gourmands des mots, fait participer son corps qui n?est
jamais en désaccord. Aujourd’hui, la question que se posent les danseurs n?est
pas « comment je danse », mais « pourquoi je danse », et c’est capital. Aux
acteurs d’entrer dans cette réflexion. Il faut investir son corps et la pensée
dans son corps, sans se laisser envahir par les émotions extérieures qui
viennent embellir le programme. En cela j’aime beaucoup le cinéma de Tati. Il a
tout réinventé, et l’on s’aperçoit de l’importance du corps, qui disait tout,
sans parler. Les mots n?étaient que des accents. Ce travail de corps chez Tati
est à mon sens un exemple pour le travail de comédien.

Propos recueillis par Nathalie Yokel

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