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La mue du personnage théâtral contemporain

La mue du personnage théâtral contemporain - Critique sortie

Publié le 10 mars 2011

Figure, silhouette, identité générique ou simple sigle?. Le personnage
contemporain fait craquer sans complexe les coutures de son costume canonique,
roidi à force d’arpenter les planches depuis des siècles. La dramaturge Julie
Sermon*, qui a ausculté la mue de cet « être de papier en attente
d’incarnation », revient sur les évolutions et leurs répercussions sur le jeu de
l’acteur.

Qu?est-il arrivé au personnage dans les écritures contemporaines ?

Sous la plume de certains auteurs tels que Philippe Minyana, Valère Novarina,
Noëlle Renaude ou encore Michel Vinaver, le personnage, classiquement déterminé
par un caractère homogène, une raison d’être et d’agir, est devenu flou,
parcellaire, « incomplet ». Dans ces dramaturgies diffractées, il est moins
porteur d’une intrigue, qu’il fait progresser par ses actes et son discours, que
d’une parole poétique. En écho aux questionnements identitaires qui travaillent
la société, les identités apparaissent discontinues, fluctuantes, voire
contradictoires. Elles se composent sur le mode fragmentaire, par juxtaposition
de saisies prismatiques. L’individuation des différents protagonistes s’atténue,
au point que les figures ne constituent parfois que des déclinaisons d’un profil
générique. Les formes de choralité supplantent le conflit intersubjectif, qui
était la loi du genre dramatique. Le Nouveau Roman, qui a libéré la littérature
du protocole mimétique, a ouvert le chemin de cette évolution.

« Les formes de choralité supplantent le conflit intersubjectif, qui était la
loi du genre dramatique.
»

En quoi ces mutations modifient-elles les modes d’interprétation de jeu ?

La conception habituelle considère le personnage comme un alter-ego, comme
une personne dont il faut déchiffrer les états et les sentiments intérieurs pour
en trouver la vérité secrète. Cette appréhension en termes rationnels,
affectifs, psychologiques, s’avère évidemment moins opératoire dès lors que
l’être fictif s’extrait du dessin figuratif qui en faisait un relais vers un
individu réel – ou du moins possible. La mue du personnage exige une très grande
souplesse de l’acteur, qui doit pouvoir osciller rapidement entre des énergies
et des intentions différentes dans une succession de répliques croisées ou
dispersées. Ne pouvant pas s’appuyer sur un fil continu qui tramerait un
sous-texte, il est obligé de faire confiance à ce que dit la parole au présent,
dans l’instant même de son énonciation.

Quelles conséquences voyez-vous en termes de formation ?

Il me semble que les acteurs ne sont pas suffisamment formés à appréhender le
texte en tant que matériau poétique. L’héritage des apprentissages scolaires
continue de forger le regard, en le focalisant sur le sens des mots. Or, dans
ces écritures contemporaines, le sens passe précisément par la forme.
Parallèlement aux outils traditionnels, la formation devrait sans doute
développer d’autres approches, portant sur la facture de la langue, sur une
analyse littéraire et musicale, afin que l’acteur puisse entrer dans le
personnage par d’autres voies, par les sons, les rythmes ou la mélodie de la
phrase.

Entretien réalisé par Gwénola David

Le Personnage théâtral contemporain : décomposition, recomposition,
de Jean-Pierre Ryngaert et Julie Sermon, Editions Théâtrales, 2006.

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