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La danse, art majeur en mode mineur

La danse, art majeur en mode mineur - Critique sortie Danse
Crédit : Patrick Berger Légende : Didier Deschamps, directeur du théâtre national de Chaillot.

Entretien / Didier Deschamps
Programmation, création et diffusion de la danse

Publié le 27 février 2016

La question de la création et de la diffusion de la danse contemporaine est en tension permanente. L’une ne peut exister sans l’autre, mais les chorégraphes sont souvent contraints de créer faute de pouvoir diffuser. Nous avons interrogé Didier Deschamps, directeur du Théâtre national de Chaillot à ce sujet.

Combien de dossiers émanant de compagnies de danse recevez-vous en moyenne ?

Didier Deschamps : Nous recevons entre dix et vingt dossiers par jour. C’est un chiffre beaucoup trop élevé pour qu’on puisse faire notre travail d’expertise correctement. Sauf à être dans le goût dominant du moment.

Pourquoi un tel engorgement ? N’est-ce pas parce qu’il n’y a pas assez de structures ou d’institutions qui programment de la danse ?

Didier Deschamps : La question qui n’a jamais été résolue est celle de la diffusion et celle des outils destinés à sa consolidation. Certes, il y a eu la mise en place du CND, l’évolution de la mission du Théâtre national de Chaillot dévolu à la danse depuis 2008, mais cela ne suffit pas à l’échelle de la décentralisation et d’un développement des écritures chorégraphiques. Les scènes nationales dans leur ensemble sont très timorées par rapport à la danse, et se placent immédiatement en retrait à cet endroit en période de crise. Je continue de prôner une expansion, une généralisation d’artistes en résidence dans ce type de lieux. Justement parce qu’ils sont « généralistes ».

On observe au contraire en ce moment que l’on demande de plus en plus souvent aux structures dédiées à la danse, comme les CCN et les CDC, d’assurer à la fois la création – donc la production – et la diffusion des œuvres chorégraphiques…

Didier Deschamps : Reste que les Centre Chorégraphiques Nationaux sont insuffisamment équipés pour répondre à cette question cruciale, la plupart n’étant pas dotés de salles. Or, pourquoi les Centres dramatiques nationaux ont-ils des salles ? Non seulement pour créer et programmer, mais aussi pour avoir un lieu de diffusion et multiplier les rencontres avec le public. Ce qui permet, à long terme, de développer un art sur un territoire. Si l’on met en parallèle, dans les CCN, le développement des missions qui leurs sont allouées et les moyens qui leur sont consacrés, il apparaît que les moyens initialement destinés à la création n’ont cessé de décroître. Cette baisse contribue à une forme de paupérisation de la profession. Par comparaison, les salaires varient du simple au triple suivant que l’on soit danseur ou musicien. Selon quelles justifications ? Quelle nécessité ? Ces disparités ne peuvent qu’accentuer le fait que l’on continue à considérer la danse comme un art mineur au plan économique. Alors que celle-ci n’a cessé de faire la démonstration de sa valeur créatrice, symbolique, et innovante, et a rencontré un public de plus en plus large.

« Nous accueillons le théâtre, alors qu’aucun des autres théâtres nationaux ne le fait en sens inverse. »

Les disparités entre théâtre et danse sont tout aussi flagrantes…

Didier Deschamps : Alors que la danse fait pourtant la démonstration de sa capacité d’accueil. Ici, à Chaillot, théâtre national dévolu à la danse, nous accueillons le théâtre, alors qu’aucun des autres théâtres nationaux ne le fait en sens inverse. Ce qui pose question et témoigne d’un déséquilibre très grand avec la musique et le théâtre.

Les chorégraphes sont poussés à créer, notamment les jeunes compagnies qui en sont à « l’aide au projet », et qui doivent donc produire pour être subventionnées. Et certains programmateurs ne veulent que des « premières »…

Didier Deschamps : La création ne peut que procéder de la nécessité d’un artiste et non pas répondre à un cadre contraignant susceptible de déclencher des moyens qui vont lui permettre de survivre. Il faudrait qu’il y ait des aides à la compagnie – même émergentes. Il faudrait favoriser la diffusion, laisser les compagnies faire un travail de recherche, de maturation et de sensibilisation consubstantielles. C’est dramatique qu’un chorégraphe ne soit reconnu qu’en cas de production d’un nouveau spectacle.

Selon vous, quelles pourraient être les solutions en matière de diffusion ?

Didier Deschamps : Cette question renvoie à la notion de série, un des axes défendus par la Direction générale de la création artistique, mais qui doit être pleinement assumé. Car il faut développer des séries aussi et surtout avec de jeunes artistes. Ce qui signifie qu’il faut accepter que les salles soient à moitié pleines. Or, les objectifs qui sont imposés à nos structures sont chiffrés et observés, certes avec pondération, mais il faut garder l’intelligence de cette évaluation… qui dépend de la compétence de l’évaluateur en matière de danse.

 

Propos recueillis par Agnès Izrine

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