La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

La formation théâtrale en France

Kantor : un théâtre lié à « une vision intérieure », se substituant à la représentation.

Kantor : un théâtre lié à « une vision intérieure », se substituant à la
représentation. - Critique sortie

Publié le 10 mars 2011

« Amateur d’arts », le romancier et essayiste Guy Scarpetta revient sur le
génie du maître de Cracovie, à qui il fut étroitement lié dans les dernières
années de sa vie, notamment à travers les événements qui lui furent consacrés
par l’Académie Expérimentale des Théâtres. Adepte du décloisonnement des arts,
Scarpetta tient Kantor pour un créateur d’autant plus exceptionnel que son art
du théâtre était inséparable de son expérience picturale.


Peut-on parler de transmission quand on évoque Kantor ?

Guy Scarpetta : En tout cas, pas au sens où on l’entend dans les
institutions ordinaires. Ses grandes pièces relevaient d’un univers singulier,
liées à une expérience personnelle, à une vision intérieure. Ses acteurs
eux-mêmes étaient associés à cette expérience. Il nous lègue la nécessité de
l’expérience vécue intimement, et la sienne ne ressemblait à aucune autre.

Kantor a été au départ un artiste plasticien d’avant-garde.

G. S. : Sa formation, dont l’un des éléments est son intérêt pour le
mouvement Dada, passe par l’École des Beaux-Arts de Cracovie : l’art devait
désormais passer dans la vie. D’où un congé donné à tout ce qui relève de
l’illusion, de la représentation. C’est présent, très tôt, dans son activité
picturale, à travers ses « objets trouvés » apparentés au ready-made, mais aussi
dans ce registre des « événements », happenings ou performances : des actions
directes, immédiates, dans la réalité, se substituant à la représentation de
l’action. C’est dans ce « théâtre » clandestin qu’il a créé sous l’occupation
allemande, et ensuite, sous le régime communiste, en Pologne, alors que
triomphaient les dogmes et les normes du « réalisme socialiste », dont il fut un
adversaire résolu. Des actions qui avaient lieu dans la rue, dans certaines
galeries, ou dans le sous-sol d’un cabaret. Parfois d’autres plasticiens sont
intégrés à ces « actions » – des partenaires permanents de son futur collectif
théâtral.

Ces performances vont lui fournir son futur vocabulaire théâtral.

G. S. : Un spectacle comme Je ne reviendrai jamais intègre toute
une part de cette activité expérimentale ancienne. Kantor a éprouvé le besoin
d’excéder ce néo-dadaïsme, de réinvestir partiellement le domaine des codes
scéniques. Il ne disait pas qu’il mettait en scène une pièce de Witkiewicz, mais
qu’il « jouait » avec Witkiewicz. Le texte était un élément parmi d’autres dans
l’action scénique. Puis il a transgressé les interdits de l’avant-garde
pour s’engager dans des spectacles ouvertement théâtraux. Le plus étrange, c’est
que cela suscite un bond qualitatif. Se serait-il arrêté avant La Classe
morte
, il aurait été un artiste d’avant-garde parmi d’autres. Avec La
Classe morte
, c’est son génie qui apparaît et qui s’impose. À l’âge de
soixante ans’

« On peut transmettre à la rigueur des formes, des techniques, mais
l’expérience n?appartient qu’à un seul. »

Quel rôle joue le pictural dans cette expérience très forte ?

G. S. : Il impose sa vision, ses fantasmagories, son univers halluciné.
Tout un monde anéanti qui renaît, de façon spectrale, sa mémoire personnelle,
celle de l’Europe centrale détruite, c’est à la fois bouffon et tragique. Le
dadaïsme a été absorbé, métabolisé : il devient le Goya de la fin du XXème
siècle? Kantor avait aussi su fédérer autour de lui, non des « acteurs » au sens
classique, mais des gens qui acceptaient de devenir des personnages de son
univers, un peu sur le modèle des « emplois » dans la commedia dell’arte, de se
métamorphoser physiquement pour cela ; ils apportaient leur contribution à
l’édifice. Ils partageaient avec lui une étonnante complicité, liée à une
histoire commune artistique, mais aussi politique. Ce théâtre était aussi une
forme de résistance, une vraie solidarité s’était nouée là, vécue, ce qui ne se
transmet pas de façon académique. Enfin, il y avait, chez Kantor, ce modèle
pictural à l’?uvre dans son théâtre même. L’intégration des objets, des
mannequins, qui étaient bien plus que des accessoires, le jeu sur les rythmes,
les tensions, les intensités, le mélange de destruction et de reconstruction,
les « tableaux » animés, les torsions : il faisait du théâtre comme un peintre
peint. Une aventure unique. On peut à la rigueur transmettre des formes, des
techniques, mais l’expérience n?appartient qu’à un seul. Lorsqu’on a demandé à
Kantor, en Avignon, en 1990, d’animer des « masterclasses », il n?a rien fait
d’autre que de propulser les stagiaires dans l’élaboration d’un de ses
spectacles, c’est-à-dire de leur faire vivre, concrètement, une part de cette
expérience. Il n?avait rien d’autre à transmettre. Kantor ne pouvait pas, en
définitive, avoir « d’héritiers », ce qui n?a empêché en rien son influence
considérable sur les artistes de théâtre.

Propos recueillis par Véronique Hotte

Kantor au Présent, Guy Scarpetta. Éditions Actes Sud/Académie
Expérimentale des Théâtres.

A propos de l'événement


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