La Terrasse

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La formation théâtrale en France

Eloge de l’intuition

Eloge de l’intuition - Critique sortie

Publié le 10 mars 2011

Michel Bouquet est une des figures incontestées de la scène théâtrale
française. Il a enseigné au Conservatoire. Plus que pédagogue, il s’y est voulu
dispensateur d’une philosophie et d’une morale de l’acteur.


Quelle est selon vous la qualité principale pour être acteur ?

Michel Bouquet : La qualité principale que demande ce métier, c’est
l’intuition, plus importante que l’intelligence. Dans la manière d’appréhender
le rôle, je laisse faire ce qui me vient. Je ne suis pas sûr que ce que je pense
au soir d’un rôle soit définitif. Mon travail se fait entre le temps de deux
représentations. Une critique opère en moi, je garde certaines choses, j’en
récuse d’autres. Sur les bases initiales s’ajoutent des fioritures d’instinct :
c’est ce qui fait que la chose reste intéressante. La liaison avec le personnage
se fortifie, subit des guerres, des armistices, comme dans la vie. Je laisse une
part d’improvisation dans ma conception du rôle : c’est pour ça que j’aime
énormément les rôles qui n’ont pas de ligne psychologique précise.

« La panacée du métier d’acteur c’est ce pouvoir de faire venir le rôle en soi, de le montrer et d’en être surpris soi-même. »

Y a-t-il une méthode à appliquer pour bien jouer ?

M. B. : La méthode met des bornes de sagesse sur le chemin mais n?est pas
la panacée du métier d’acteur. La panacée du métier d’acteur c’est ce pouvoir de
faire venir le rôle en soi, de le montrer et d’en être surpris soi-même. Cela
arrive par la concentration, par le fait de regarder la vie sans y participer
car elle avale tout. Le comédien doit être un lecteur de la vie et un lecteur de
lui-même. Il faut s’observer, donc se méfier, croire la lecture du rôle, croire
le rôle mais aussi douter de soi : cette contradiction est gage de richesse.
Tout ce qui est mis en place peut être démoli par une intuition nouvelle du
rôle. Du fait qu’on veut donner la vie à un rôle, il faut admettre qu’il est
vivant en nous : c’est en cela que l’intuition prime sur la réflexion et que les
comédiens ne sont pas des intellectuels. Petit à petit le rôle parle avec le
comédien et quand c’est le rôle qui parle, il le surprend. Et lorsqu’il y a la
vie dans un rôle, le spectateur peut alors jouer aussi puisque le comédien est
lui-même en état de jeu. Mais s’il voit quelqu’un d’appliqué, il le sent et il
n?a rien à faire. C’est alors qu’il y a répétition mais pas représentation
théâtrale. Pour qu’il y ait représentation, il faut que le spectateur se dise
« je suis un peu ce personnage, je peux entrer en lui ». La morale de la pièce
apparaît alors puisque la personne qui la regarde la retrouve en elle.

Comment apprendre, alors, à être acteur ?

M. B. : C’est le don qui fait tout, le don qui donne la richesse et la
vocation qui est de servir ce don au maximum et non pas de s’en servir. C’est
quelque chose de difficile, mais d’enrichissant, de poignant. Ce qui est très
important, c’est le travail en amont sur le rôle. Il faut commencer à vivre avec
lui et ébouler petit à petit toutes les opinions qu’on a sur lui. A partir du
moment où on a suffisamment éboulé, le rôle vient dire : « j’en ai marre de
t’attendre, fais plutôt comme ça ». Ça, c’est la part du rôle, et elle est sacrée.

Propos recueillis par Catherine Robert

Discographie : Michel Bouquet, professeur au Conservatoire. Documents
sonores 1986-1987. Frémeaux et Associés.

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