La Terrasse

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La saison classique en France - 2009

Deux visions de la création

Deux visions de la création - Critique sortie
Raphaël Cendo et Richard Dubugnon : la musique est aujourd’hui plurielle. Photos : DR

Publié le 2 octobre 2009

Rendez-vous est pris dans une brasserie proche de l’Opéra Bastille – un lieu qui a vu naître nombre de polémiques artistiques. D’un côté de la table, Raphaël Cendo, dont l’esthétique de saturation sonore se révèle pour le moins expérimentale. De l’autre, Richard Dubugnon, qui s’inscrit dans l’héritage de la musique française du début du XXe siècle. Une rencontre entre deux compositeurs engagés.

« C’est par sa radicalité qu’un artiste apporte quelque chose à la tradition. » Raphaël Cendo
 
« On est toujours en réaction par rapport au passé. Pour moi, il n’y a pas de progrès en art. » Richard Dubugnon
 
 
Comment êtes-vous venus à la composition ?
 
Richard Dubugnon : Le désir créatif, je l’ai depuis l’enfance. Mais je suis venu tard à la composition, vers vingt ans, après des études d’histoire. En parallèle, j’ai également appris la contrebasse. Mon premier opus, pour piano seul, date de 1990. Après le Conservatoire Supérieur de Paris, j’ai eu la chance d’étudier la composition à la Royal Academy de Londres, où il y a une plus grande ouverture esthétique qu’en France.
 
Raphaël Cendo : Dès que j’ai commencé à faire du piano, j’ai voulu composer. Mes parents étaient au départ opposés à l’idée que je m’engage dans une voie aussi difficile ! Dans mon parcours, je suis passé par plusieurs étapes : j’ai par exemple collaboré à un groupe de rap hardcore, très engagé politiquement. Je me suis ensuite recadré sur la question de la forme et j’ai étudié au Conservatoire Supérieur, à l’Ircam et dans différents stages : Acanthes, Royaumont…
 
Quels sont les compositeurs qui vous ont marqués ?
 
 
R.D. : J’étais un fou de Bach. C’était malsain : longtemps, je n’écoutais que ça ! Progressivement, je suis allé vers la musique romantique et vers le xxe siècle, notamment Bartók et Messiaen. Mais surtout, je me vois dans la continuation d’une tradition de musique française, incarnée par Debussy ou Ravel. Sans oublier les compositeurs suisses, comme moi : Frank Martin ou Arthur Honegger.
 
R.C. : J’ai également une admiration pour les vieux maîtres. L’école spectrale m’a par ailleurs beaucoup apporté, sans oublier des personnalités comme Brian Ferneyhough ou Fausto Romitelli. Mais il y a également eu pour ma musique un enrichissement capital en provenance des musiques dites « actuelles » ou « populaires ». Enfin, il y a des choses non musicales. À la Recherche du temps perdu de Proust a été un révélateur sur les questions de forme. Cette lecture m’a plus apporté qu’aucun cours.
 
R.D. : En ce qui me concerne, le cinéma m’a beaucoup influencé, notamment la façon dont est traité le temps. Dans mes œuvres, j’aime faire des analogies entre cet art et la musique.
 
Quel regard portez-vous sur la figure de Pierre Boulez ?
 
R.C. : On peut le critiquer, mais on ne peut nier son importance. Il a fait découvrir un ovni : la musique sérielle. Et surtout, il a mis au centre des débats la question du contrôle musical. En paraphrasant Rimbaud, il a dit qu’il cherchait le règlement de tous les sons. Il a ainsi mis de côté tout un courant d’improvisation, avec des personnalités comme Vinko Globokar. Mais aujourd’hui, les choses ont changé. Et pour ma part j’essaie d’opposer à l’idée boulézienne la notion de perte de contrôle des sons.
 
R.D. : On est toujours obligé de se positionner par rapport à lui. J’apprécie son travail de chef d’orchestre et ses enregistrements, où il a très tôt su tirer parti de l’importance de la clarté des niveaux. Je l’ai récemment entendu diriger la Messe glagolitique de Janacek et j’ai été bouleversé. Il a saisi l’importance de la transparence de l’interprétation. Et je remarque aussi qu’il dirige à présent un répertoire qu’il vomissait dans le passé ! Comme Dark Vador, il a rejoint le côté positif de la Force …
 
 
Quelle place doit occuper le compositeur dans la société actuelle ?
 
R.C. : Le compositeur n’est plus au centre du débat. On passe pour des mecs emperruqués, qui se croient encore au xviiie siècle en voulant vivre de leur plume. Pourtant, pour moi, le compositeur est un peu un chaman. Il fait entendre le son de notre époque, au risque d’être rejeté.
 
R.D. : C’est la dernière roue du carrosse ! Quand il n’a pas quatre-vingts ans, on n’a pas beaucoup de respect envers le compositeur. Cela provient des institutions, de la presse mais aussi des interprètes. Il y a encore un chemin à faire, notamment sur la manière dont le compositeur est rémunéré. 8 000 euros pour une oeuvre orchestrale qui prend un an à écrire, c’est faible…
 
Parlez-nous de vos démarches esthétiques…
 
R.C. : Au début du xxe siècle, le système tonal est arrivé à son terme. Certains se sont mis à inventer autre chose. Aujourd’hui, je crois que c’est la fin du système des hauteurs et donc des notes précises. L’idée de saturation oblige à se focaliser sur le timbre. Pour moi, c’est par sa radicalité qu’un artiste apporte quelque chose à la tradition.
 
R.D. : Mais on est toujours en réaction par rapport au passé. Si on fait un son saturé sur un violon, ça reste un violon, qui est un instrument du xvie siècle. Pour moi, il n’y a pas de progrès en art. L’erreur des représentants de l’école de Darmstadt, c’est d’avoir pensé qu’ils étaient dans un courant évolutionniste.
 
R.C. : Tonale ou pas tonale, toute musique a le droit d’exister. Ce sont des « guerres pour rire » pour reprendre l’expression de Deleuze à propos des conflits entre philosophes. Leur mérite, c’est qu’elles créent des débats et posent des questions salutaires.
 
Quels sont vos processus compositionnels ?
 
R.D. : Cela se fait en plusieurs étapes. Je prends des notes sur des idées musicales, mais également sur des livres ou des films. Après avoir collecté ces ingrédients, j’élabore une forme. C’est important ce qu’on dit, mais aussi comment on le dit. Cela nécessite un vrai travail d’orfèvre. Pour moi, j’essaie de ne pas faire ce qui paraît évident, mais plutôt de me surprendre moi-même.
 
R.C. : Il y a une longue phase où c’est dans la tête que ça se passe. Je pense beaucoup au mélange des textures sonores, et j’essaie de voir d’où je pars et où j’arrive. De plus en plus, je réfléchis aux transitions. Ensuite, une étape très importante est le travail avec les interprètes, car j’élabore une écriture basée sur les timbres. Il m’importe de voir jusqu’où je peux aller avec l’instrument, notamment les limites de vitesse. Je suis par ailleurs attaché au matériau unique, j’aime les œuvres qui ont une idée et qui s’y tiennent.
 
Propos recueillis par Antoine Pecqueur


 
 
Richard Dubugnon en 5 dates
 
1968 : Naît en Suisse
1993 : Premier Prix de contrepoint du Conservatoire Supérieur de Paris et, deux ans plus tard, de contrebasse
1997 : Master de Composition à la Royal Academy of Music à Londres
2008 : Création du Concerto pour violon avec Janine Jansen, l’Orchestre de Paris et Esa-Pekka Salonen
2009 : Grand Prix des Lycéens organisé par La Lettre du musicien
 
Raphaël Cendo en 5 dates :
 
1975 : Naît en France
2003 : Intègre la classe de composition du Conservatoire Supérieur de Paris
2006 : Fin du cursus de composition à l’Ircam
2008 : Devient professeur de composition au Conservatoire de Nanterre
2009 (à partir d’octobre) : Pensionnaire de la Villa Médicis

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