La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Classique / Opéra - Entretien

FREDERIC VAYSSE-KNITTER

FREDERIC VAYSSE-KNITTER - Critique sortie Classique / Opéra Paris Cité de la Musique
FREDERIC VAYSSE-KNITTER © Jean-Baptiste Millot

Interprètes engagés / piano / CITE DE LA MUSIQUE

Publié le 23 octobre 2013 - N° 214

Le pianiste des grands espaces

Alors que son magistral disque Szymanowski, paru il y a deux ans chez Intégral, a marqué au fer blanc l’esprit et le cœur de tous ceux qui l’ont écouté, le pianiste français (d’origine polonaise) est l’invité de la Cité de la Musique pour reprendre, à la suite de son créateur Alexandre Tharaud, l’imposante partie soliste d’une pièce magnifique, Outre-mémoire, du compositeur Thierry Pécou. Un nouveau témoignage de l’exceptionnelle vitalité et mobilité artistique d’un pianiste « wanderer » épris de grands espaces, de Bach à la création…

Construire un répertoire est-ce voyager?

Frédéric Vaysse-Knitter : Je me sens totalement « wanderer » dans l’âme. Tout autant un wanderer urbain que pastoral… Je fonctionne de la même façon avec le répertoire et l’art en général. Une œuvre doit m’interroger sur ce que je suis à l’instant T, et me pousser à découvrir d’autres aspects de moi-même. En ce sens c’est donc en wanderer d’un monde intérieur que je conçois le travail d’une partition.

Quelle musique ne jouerez-vous jamais?

Frédéric Vaysse-Knitter : Prenant en compte ma vision du répertoire et la manière dont je suis amené à le découvrir, je ne peux en aucun cas vous dire que « jamais » je ne jouerai une oeuvre ou une musique. J’ai déjà vécu des bouleversements intenses quand certaines musiques qui m’étaient hermétiques se sont tout à coup révélées à moi. Quel bonheur! J’espère donc être toujours surpris, et changer d’avis sur certaines partitions, être appelé à les jouer. Cependant, la professeur de Dinu Lipatti lui donnait ce conseil: « Fais attention, joue des œuvres qui t’aiment autant que tu les aimes ». Conseil avisé, mais au combien difficile à mettre en pratique parfois…

« En musique comme dans la vie, j’ai besoin d’être bouleversé. »

Vous serez bientôt en concert à Paris avec la création parisienne d’une œuvre de Thierry Pécou…

Frédéric Vaysse-Knitter : J’étais présent lors de la création de l’œuvre de Thierry Pécou par Alexandre Tharaud, à Rouen il y a de cela plus de 10 ans. J’ai été captivé par cette expérience sensorielle. Outre-Mémoire est une œuvre forte, dramatique mais sans pathos, sans violence extérieure prégnante. Tout est contenu à part peut-être le temps d’une toccata. Le positionnement même des instruments, ou justement aussi leur mobilité, engendrent une spatialisation du son dans le lieu du concert tout à fait exceptionnelle. D’ailleurs le piano est un peu comme un centre de gravité autour duquel la flûte, la clarinette et le violoncelle gravitent comme des satellites. Cela induit pour le pianiste un rapport particulier à son instrument, à la manière dont il communique avec ses partenaires. Il y a aussi la notion de mémoire qui me touche beaucoup, et là, de même, sans revendication particulière, juste comme une évocation. Il est très complexe de faire parler la musique sur un sujet aussi douloureux que celui que traite Thierry Pécou avec cette œuvre (NDLR Outre mémoireaborde la traite des esclaves), sans tomber dans l’emphase ou la violence. Pourtant, il nous emmène dans ce voyage sans brusquerie, juste par l’émotion. La musique de Thierry Pécou est pour moi comme un volcan éteint, majestueuse et calme en apparence et pourtant…

Qu’attendez-vous d’une œuvre nouvelle de musique contemporaine qui arrive sur le pupitre de votre piano ?

Frédéric Vaysse-Knitter :Qu’elle me bouleverse. En musique comme dans la vie, j’ai besoin d’être bouleversé. J’ai besoin de cela pour me sentir vivant, pour avoir envie de porter l’œuvre, la défendre et que le public à son tour soit lui aussi touché. Ce n’est que dans ce cas, que je peux me dépasser, aller au-delà de ce que je pourrais concevoir. C’est dans ce cas qu’être bouleversé au point d’être déstabilisé a du sens. Une oeuvre doit également nous amener à entendre la musique différemment, à nous faire changer d’avis sur certaines conceptions du son, du geste, de l’énergie musicale. Et à inventer de nouveaux mondes, ou tout au moins les découvrir. Nous sommes parfois comme des enfants à qui l’on offre un livre, un objet, qui tout à coup leur permet de rêver à autre chose, de raconter de nouvelles histoires.

 

Propos recueillis par Jean Lukas.

A propos de l'événement

FREDERIC VAYSSE-KNITTER
du samedi 16 novembre 2013 au samedi 16 novembre 2013
Cité de la Musique
211 avenue Jean Jaurès, 75019 Paris

Samedi 16 novembre à 20 h à l’Amphithéâtre. Tél. : 01 44 84 44 84. Places : 18 €. Avec l’Ensemble Variance. (Frédéric Vaysse-Knitter sera aussi l’un des invités d’Alexandre Tharaud le 22 novembre à 20 h à la Cité de la Musique pour la soirée « surprise » intitulée « La nuit, tous les chats sont gris »)
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