La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Frédéric Bélier-Garcia, Une histoire qui se souvient d’elle-même

Frédéric Bélier-Garcia, Une histoire qui se souvient d’elle-même - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Vieux-Colombier
Frédéric Bélier-Garcia Crédit photo : Brigitte Enguérand

Théâtre du Vieux-Colombier / Trahisons / de Harold Pinter / mes Frédéric Bélier-Garcia

Publié le 1 septembre 2014 - N° 223

Pinter ausculte à rebours la défaite des attachements et Frédéric Bélier-Garcia met en scène cette histoire qui se souvient d’elle-même. Sur scène, Léonie Simaga, entre Denis Podalydès et Laurent Stocker. 

Quelle lecture proposez-vous de la pièce ?

Frédéric Bélier-Garcia : Pinter reprend l’équation du théâtre bourgeois (le mari, la femme et l’amant), mais, coup de génie, il raconte l’histoire à rebours, de l’aveu vers la faute, de la fin au début. Cette autopsie révèle comment le lien amoureux ou amical est fabriqué d’une pluralité d’arrangements avec nos promesses : ce qui nous unit est aussi ce qui nous désunit. Et il y a une sorte de jubilation à disséquer les rapports du trio : Pinter conserve l’humour du théâtre bourgeois, la trace du rire qu’il provoquait, mais l’implante dans une lucidité sans pardon… Il y a peut-être beaucoup de lectures possibles de cette pièce. Je la prends comme si c’était une histoire d’amour qui se souvenait d’elle-même, en neuf scènes nodales de la vie amoureuse, dans une investigation quasi policière de l’histoire sur elle-même, qui essaie de capturer à travers ces fragments le fuyant, l’insaisissable : ce qui arbitre le mouvement de la vie plus que les grandes décisions volontaires et conscientes que nous croyons prendre.

« Ce qui arbitre le mouvement de la vie plus que les grandes décisions volontaires et conscientes que nous croyons prendre. » 

En quoi consiste l’originalité du traitement pinterien de ce trio ?

F. B.-G. : L’habileté et l’intelligence de la pièce tiennent dans l’incessante circulation des rôles. Qui est le traître ? Qui est trompé ? Où est le cynisme ? La naïveté ?  Les personnages sont tour à tour victimes et bourreaux, auteurs et objets. Quand on raconte une histoire d’amour dans sa chronologie, c’est souvent le récit d’une fatalité. Là, dans ce rebours sinueux, ça devient l’histoire d’un grand malentendu : Jerry, Emma et Robert ne cessent de se trahir, mais sans manigance ; ils essaient de ne pas se faire trop de mal, mais par ces prudences mêmes, fabriquent du désastre. On retrouve dans cette pièce la marque de Pinter, malin, corrosif, mais la forme narrative est si contraignante que cette pièce est pour moi comme une petite équation sur l’amour qu’il faut monter hors contexte, comme une curiosité du théâtre contemporain, une sorte d’objet qui ne ressemble qu’à lui-même. Souvent on l’anglicise, et on choisit les distributions les plus British pour la monter. J’avais envie d’un mortier humain plus universel en l’arrachant au tweed – ce sont trois intelligences qui se nuisent, s’érotisent et racontent le trop humain…

Comment se repérer dans cette histoire à rebours ?

F. B.-G. : C’est un jeu entre la mise en scène et le spectateur, qui doit trouver des indices dans la circulation narrative. Ça fait partie du plaisir de la pièce que le spectateur se repère lui-même. Son égarement doit être proche de celui des acteurs, et même de celui des personnages, qui remontent vers l’origine de leur histoire comme vers une terre inconnue. Ce qui est beau dans le mouvement de la pièce, c’est comment, en partant de la convention du trio, où une femme entre deux hommes est habituellement l’instigatrice de la trahison, Pinter déplace les choses : la femme, sujet de la trahison, devient son objet. La trahison est plurielle et virulente, comme on dit en médecine, elle affecte toutes les relations, et elle apparaît, étant donnés les efforts qu’elle requiert, comme le dernier sursaut de l’effort amoureux. Il ne peut d’ailleurs y avoir de trahison qu’entre deux êtres fidèles : il y a trahison entre Judas et Jésus, pas entre Merteuil et Valmont ! Pinter trouve ce qu’il y a de fuyant, d’opaque au fond de chaque amour. Les sentiments dans leur forme élémentaire ne sont pas purs, mais troubles, limoneux et c’est cette rumeur qu’il essaie de capter.

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Trahisons
du mercredi 17 septembre 2014 au dimanche 26 octobre 2014
Théâtre du Vieux-Colombier
21 Rue du Vieux Colombier, 75006 Paris, France

Le mardi à 19h ; du mercredi au samedi à 20h ; le dimanche à 16h. Tél. : 01 44 39 87 00 / 01.

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