La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -247-Les Gémeaux à Sceaux / saison 2016/2017

La Tragédie du Roi Christophe

La Tragédie du Roi Christophe - Critique sortie Théâtre Sceaux Les Gémeaux - Scène Nationale
Crédit photo : Michel Cavalca

Théâtre / D’Aimé Césaire / mes Christian Schiaretti
Entretien / Christian Schiaretti

Publié le 26 septembre 2016 - N° 247

Après Une saison au Congo, Christian Schiaretti met en scène, avec la même troupe, La Tragédie du Roi Christophe, chef-d’œuvre flamboyant d’Aimé Césaire, poète de la négritude.

 « Le rapport de Césaire aux grands idéaux est à lire au prisme de la négritude. »

Quelle est la place de cette pièce dans l’œuvre de Césaire ?

Christian Schiaretti : Le concept de négritude est central chez Césaire, qui revendique la question de l’identité noire antérieurement à toute question politique. Le Noir s’est vu colonisé et arraché son nom. Quand des forces progressistes – marxisantes – voulaient que les Noirs accompagnent leur mouvement, Césaire montre que le problème préalable est celui d’une récupération identitaire qui passe par l’histoire. Même si, historiquement, La Tragédie du Roi Christophe est la première à avoir été écrite, cette pièce constitue le deuxième volet d’un triptyque commencé par Une saison au Congo et qu’achève Une Tempête. On a là comme un arc, qui va de l’Afrique aux Etats-Unis en passant par les Caraïbes. Le sens dramaturgique ne suit pas la chronologie, mais la veine qui part d’Afrique, et à l’intérieur de laquelle un groupe raconte son histoire et invente où il va. Cela justifierait évidemment, et tel est notre projet, de monter ces trois pièces à la suite, puisqu’elles explorent toutes ce même problème des racines.

Quelle différence problématique avec Une saison au Congo ?

C. S. : Dans Une saison au Congo, la question est plus simple : les colons arrivent et dessinent un territoire absurde qui ne respecte pas le maillage ethnique. Mais les autochtones sont là et n’ont pas de problème à définir leur identité. Lumumba manie un rêve panafricain qui chutera avec Mobutu, complice de la manigance blanche. Mais quand on part aux Caraïbes, la question de la négritude se complexifie. On arrive dans une terre de génocide des autochtones, les Indiens. Les esclaves sont des choses, ils ont été réifiés. Comment constituer sa personne à partir de là ? La question de l’identité s’appuie sur la souffrance, c’est-à-dire l’asservissement, et se voit imposer la déclinaison d’infinies variations du blanc au noir – métisse, mulâtre, quarteron –, qui permet de créer une gradation des emplois en fonction du degré de blanchitude !

Comment s’articulent question identitaire et question politique ?

C. S. : Le rapport de Césaire aux grands idéaux est à lire au prisme de la négritude. La question fondamentale est celle-là. La question de l’opposition entre république et monarchie, incarnées par Pétion et Christophe, vient après. Comment choisir entre imitation et invention ? Le problème de Christophe est celui d’un leader, élevant son peuple à l’autonomie et inventant une culture. Pour cela, il puise à la fois dans le modèle anglais d’une monarchie constitutionnelle et dans le souvenir des traditions africaines, jouant la carte des intérêts haïtiens contre la France, dont il faut rappeler que même révolutionnaire, elle n’a pas été immédiatement en rupture avec l’esclavage. L’abolition de l’esclavage, en 1793, est d’abord le fruit d’un rapport de force, de plusieurs années de révolte dans la colonie, et permet d’obtenir le ralliement de Toussaint Louverture à la République. Avant cela, il faut se souvenir qu’un quart des revenus fiscaux, et donc de la fortune du royaume de France, vient de Saint-Domingue, c’est-à-dire d’Haïti. On comprend pourquoi Colbert invente le Code noir qui donne droit de vie et de mort aux planteurs sur les esclaves. Les colons eux-mêmes, en 1789, font partie de l’Assemblée Nationale révolutionnaire, car ils cherchent à s’émanciper de la tutelle métropolitaine – mais pas un instant ils ne peuvent envisager de mettre un terme à l’esclavage ! D’ailleurs l’abolition ne sera qu’une parenthèse dans l’histoire de France : c’est la volonté de Bonaparte de rétablir l’esclavage qui précipitera la guerre d’indépendance haïtienne, et la France n’aura de cesse qu’elle n’obtienne des réparations financières. C’est dans ces conditions que Christophe choisit le modèle anglais et organise un cérémonial de couronnement qui prouve que les Noirs sont capables de faire aussi bien que les Blancs. Mais il y a aussi un roi africain en lui, qui s’arrache au Blanc, exactement comme le drapeau bleu et rouge d’Haïti a arraché le blanc – le colon et pas la monarchie – de son centre. Césaire indique habilement la complexité de cette constitution identitaire dans sa langue : présence africaine des chants et expressions lexicales du créole. Il métisse sa langue.

Pourquoi monter cette pièce avec la troupe d’Une saison au Congo ?

C. S. : Monter Césaire a d’abord été circonstanciel, puis c’est devenu un choix. Par fidélité à un groupe, d’abord, qui m’a apporté la vaillance d’être dans un travail de haute tenue. Comme travailler avec eux me fait du bien, je continue ma cure ! Mais aussi par fidélité à une des plus belles plumes françaises, à la floraison luxuriante. Monter Une saison au Congo a été une bataille, et la militance autour de ces textes n’est pas terminée !

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

La Tragédie du Roi Christophe
du mercredi 22 février 2017 au dimanche 12 mars 2017
Les Gémeaux - Scène Nationale
49 Avenue Georges Clemenceau, 92330 Sceaux, France

Du mardi au samedi à 20h45, le dimanche à 17h. Tél : 01 46 61 36 67. www.lesgemeaux.com

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