La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

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Jean Boillot et Christophe Triau

Jean Boillot et Christophe Triau - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 avril 2011

Alliance de la création et de la réflexion

« Un théâtre pour acteurs augmentés. » Jean Boillot
 
Quels sont les sujets du Sang des amis ?
Jean Boillot : C’est une pièce sur les figures du pouvoir autant que sur les rhétoriques du pouvoir. Mais c’est aussi une pièce qui interroge, dans la volonté du pouvoir, sa part moins maîtrisée, plus irrationnelle, celle où s’expriment le corps et le désir. C’est cette contradiction entre la maîtrise et le lâcher-prise, le fait que ces hommes qui prétendent nous diriger ne se dirigent pas du tout, qui est passionnante.
Christophe Triau : Le spectacle interroge aussi la guerre civile et, en termes plus privés, la trahison : ce n’est pas seulement une entomologie de la classe politique. La trahison des autres, de soi, la contradiction, permettent l’étude du personnel politique, certes, mais aussi des tensions qui traversent la politique et des déchirures inhérentes à tout individu. Par exemple celle de Brutus, partagé entre sa volonté d’absolu et le passage à l’action ; par exemple celle d’Antoine le Romain, découvrant l’Orient et l’amour avec Cléopâtre…
 
Le sang coule-t-il inéluctablement entre les amis ?
C. T. : Il coulera toujours puisque la paix n’est qu’un court moment de suspension où la guerre civile met le masque de la civilisation. C’est la figure de la guerre civile qui intéresse fondamentalement Piemme.
J. B. : Il reprend en cela la thèse d’Enzo Traverso qui invente le concept de guerre civile européenne et considère que l’Europe est en conflit permanent depuis 1870. La logique de la guerre civile est l’extermination totale de l’autre, la vengeance jusqu’à l’anéantissement total, et non pas, comme dans le cas d’une guerre contre un ennemi extérieur, le rééquilibrage dans un but de plus grande justice. La guerre est le quotidien, la norme, et la paix est l’exception. La paix est un état qui n’est pas naturel.
 
Comment la pièce est-elle construite ?
J. B. : J’ai commencé à travailler depuis longtemps sur l’idée d’un théâtre épique et le dialogue avec Jean-Marie Piemme s’inscrit dans ce travail et lui apporte une sorte de résolution. Alternent les scènes entre les personnages et le récit, qui est le suspens de l’action dramatique au bénéfice de trois narrateurs (tous morts) qui racontent l’histoire. Un chroniqueur lie l’ensemble. On ne sait pas qui il est. C’est une sorte de figure moderne de Virgile, écrivant l’histoire à la gloire du pouvoir en place, comme L’Enéide a servi la propagande d’Auguste. La pièce joue donc au moins sur deux niveaux : le récit et la scène dramatique, qui correspondent à différents types d’écriture. Et brutalement, on passe à une forme cabaret, à un troisième niveau. Ce mélange (qui retrouve Shakespeare) fait le théâtre épique.
 
Quel est le rôle du dramaturge dans un tel projet ?
C. T. : On a vraiment travaillé sur le texte, même si c’est Jean-Marie Piemme qui a tout écrit. La dramaturgie s’est faite en amont et en aval, à la table autant qu’au plateau. Ce qui modifie le statut du dramaturge qui devient un élément à part entière du spectacle, comme le son, comme la scénographie qui sont autant d’éléments organiques au service du sens.
J. B. : La présence de Christophe a un effet quasi pédagogique. Avec lui, on est obligé de se poser la question de l’effet généré, en étant sensibilisé à la question du sens et pas seulement à celle de la forme. Il nous fait bouger. Mais ça le fait bouger lui aussi ! ça fait bouger tout le monde ! C’est pour ça que le premier acte que j’ai posé en arrivant au NEST a été de créer un poste de dramaturge.
 
Comment définir le « théâtre sonique » que réalise ce spectacle ?
J. B. : Le théâtre sonique fait usage des machines sonores en les intégrant complètement à l’écriture dramatique. L’histoire est racontée par le chroniqueur-hagiographe, dans un studio de radio, comme un talk show radiophonique avec des musiciens en direct. L’image visuelle sert l’image sonore : ce sont les oreilles qui priment et pas les yeux. J’ai fait appel à un compositeur, Laurent Sellier, et à un sonographe, Sébastien Naves, avec lesquels nous avons conçu un dispositif qui a été complètement empoigné par la scénographe. Cet outillage au service des acteurs amplifie, transforme, diffuse leurs capacités d’expression. On peut parler à cet égard d’un théâtre pour acteurs augmentés.

Propos recueillis par Catherine Robert


Le Sang des amis, de Jean-Marie Piemme, librement inspiré de Shakespeare et Plutarque ; mise en scène de Jean Boillot. Du 4 au 29 mai 2011. Du mercredi au samedi à 20h30 ; samedi et dimanche à 16h. Théâtre de l’Aquarium – La Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris. Réservations au 01 43 74 99 61. Renseignements sur www.theatredelaquarium.com

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