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Focus -223-Focus TM+

Entretien croisé Alexandros Markeas / Joëlle Zask

Entretien croisé Alexandros Markeas / Joëlle Zask - Critique sortie Classique / Opéra Nanterre Maison de la musique de Nanterre
Crédit ensemble Tm+ : Christian Izorce

Publié le 29 août 2014 - N° 223

Musique et politique

Dans un café de la place de la Bastille, le journal La Terrasse a réuni le compositeur grec Alexandros Markeas, professeur au CNSM de Paris, dont TM+ va créer début octobre Ypokosmos, et la philosophe Joëlle Zask, enseignante à l’Université de Provence et auteur d’Art et démocratie (PUF). 

Alexandros Markeas : « Je m’intéresse au son de la crise »

Joëlle Zask : « L’art est une manière de prendre pied dans le réel »

Quel est l’impact du contexte politique sur le processus artistique ?

Alexandros Markeas : Je me vois comme une sorte de compositeur citoyen. Ma vie de musicien n’est pas seulement nourrie par mon travail de recherche musicale mais aussi par tout ce qui nous entoure. Je m’intéresse au son de la crise. J’étais récemment dans le métro d’Athènes, assis à côté de deux femmes qui venaient de manifester. Ce qui m’intéressait, c’était leur voix cassée, éraillée à force de crier des slogans. J’en ai fait une pièce, Citoyenne insolente. Mon nouveau projet pour TM+, Ypokosmos, porte sur le rebetiko, la musique des bas-fonds des cités grecques. C’était la musique des gens très pauvres, qui a peu à peu disparu avec l’embourgeoisement de la société. Dans les années 70, à la sortie de la dictature, plusieurs groupes ont voulu retrouver cette musique, qui désormais, est de nouveau d’actualité.

Joëlle Zask : Ce lien avec le monde social et politique est une condition de l’art. L’art est une manière de prendre pied dans le réel. Ce n’est pas un hasard si pour un pouvoir totalitaire, l’art est la première chose à supprimer ou à contrôler. Dans le rapport au monde, on est passé de l’idée de la contemplation, chère à Rousseau, à celle de la perception, voire à celle d’agir directement, comme avec le principe de désobéissance civile défendu par Thoreau.

La création se développe-t-elle davantage dans des temps politiquement difficiles ?

J. Z. : Au contraire, c’est en démocratie que l’art est le plus beau. Après la chute du rideau de fer, on pensait découvrir des trésors cachés, or il n’en fut rien. La création artistique aux Etats-Unis fut par contre florissante. La révolution culturelle en Chine a éliminé la possibilité de l’art à la racine même.

A. M. : En Grèce, depuis la crise, il se passe plus de choses qu’avant. Il y a un vrai sentiment d’urgence chez les artistes. Il faudrait presque faire un théâtre du temps réel. Dans mon immeuble, je vois maintenant des drapeaux du parti néo-nazi Aube dorée pendus aux fenêtres.

L’artiste doit-il s’engager politiquement ?

A.M. : En tant qu’homme, j’ai envie de dire ce que je pense, envie de le crier même. Une autre manière de m’engager est de travailler avec les amateurs. Je suis sensible à leur plaisir d’être ensemble, à la sincérité de leur jeu. J’ai même demandé à des choristes amateurs de participer à l’écriture d’une pièce. C’était à la fois ma musique et la leur.

J.Z. : Après avoir été quelque peu sceptique, je crois aujourd’hui beaucoup à la vitalité participative, menant à des créations de micro-républiques, pour reprendre un principe exprimé par Jefferson.

Et la politique, est-ce un art ?

J.Z. : On retrouve cette idée de politique comme art chez Machiavel. Je me sens plus proche de Platon, pour qui la politique est une science. Car si elle est un art, elle est jouée par un individu dépositaire d’un certain génie et qui va la jouer solo. Hitler était le sculpteur du peuple. Il considérait que sa politique allait donner forme à la masse.

A.M. : Le jeu politique s’est individualisé pour oublier le bien commun. D’où aujourd’hui, notamment en Grèce, la méfiance de la population envers l’autorité.

 

Propos recueillis par Antoine Pecqueur

A propos de l'événement

Ypokosmos de Markeas,
du samedi 4 octobre 2014 au samedi 4 octobre 2014
Maison de la musique de Nanterre
8 Rue des Anciennes Mairies, 92000 Nanterre, France

le 4 octobre à 20h30 à la Maison de la Musique de Nanterre (dans le cadre du Festival d’Ile-de-France.

TM+, La Maison de la Musique, 8 rue des anciennes mairies, 92000 Nanterre. Tél : 01 41 37 76 16. 

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