La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -207-Théâtre d'Ivry~Antoine Vitez

Entretien Bintou Dembélé

Entretien  Bintou Dembélé - Critique sortie Théâtre Ivry-sur-Seine Théâtre d'Ivry Antoine Vitez
© Enrico Bartolucci

Publié le 1 mars 2013 - N° 207

Le corps à l’écoute

Bintou Dembélé assume un hip-hop engagé, et ne recule devant aucun tabou. 

« L’urgence de donner à voir, à comprendre, à ressentir ce qu’un tel dispositif représente. »

Le titre de votre nouvelle création, Z.H., renvoie aux « zoos humains »… Un sujet lourd !

Bintou Dembélé : J’ai découvert l’existence des zoos humains (apparus au XIXe siècle) il y a trois ans, par des films, tout particulièrement le documentaire Zoos humains de Pascal Blanchard et Eric Deroo. Immédiatement, j’ai ressenti le besoin d’en parler ; d’essayer de comprendre comment un tel phénomène avait pu exister. J’étais choquée, aussi, de réaliser que de toute ma vie je n’en avais pas entendu parler, notamment à l’école. D’où l’urgence de donner à voir, à comprendre, à ressentir ce qu’un tel dispositif représente. Car les siècles pendant lesquels s’est inventée la figure du « sauvage » restent influents ; nous continuons de porter en nous des images de l’autre et des rapports de domination hérités du colonialisme. Cette découverte a aussi résonné en moi avec une autre expérience : au Sénégal, j’ai un oncle qu’un handicap physique conduit à se déplacer à quatre pattes. En France, ce serait très choquant. Là-bas, il se fond dans le paysage. La perception de la différence, la capacité à la rejeter ou à lui faire une place, varient d’une culture à l’autre ; la différence n’est pas naturelle, mais construite.

Comment avez-vous procédé pour aborder cette construction de l’autre ?

B. D. : J’ai d’abord eu besoin de me documenter. C’était une nouvelle façon de travailler pour moi : réunir des informations et des matériaux de réflexion avant de me lancer dans le processus de création. Face à ces documents, j’ai traversé plusieurs étapes. J’étais confrontée à des faits très violents, qui me touchent d’autant plus que je suis d’origine africaine. Il y a eu des phases de colère, de déception, d’accablement. Le risque était alors de n’avoir aucun recul, de ne pouvoir que pointer du doigt, voire reproduire, dans le cadre du spectacle, une situation d’exhibition ! C’est en parlant, en échangeant avec d’autres, que j’ai pu trouver ma place par rapport à ces questions : plutôt que dénoncer les « mauvais », assumer que moi-même je suis des deux côtés de la barrière. Ma famille vient d’Afrique, mais au Sénégal, il arrive que l’on me considère comme une Occidentale quand j’aimerais être vue comme une enfant du pays ! Je crois que ces questions renvoient chacun de nous à ses paradoxes, à des limites qui ne sont jamais très claires. Au fil de ce travail, je suis passée du pessimisme à une posture plus optimiste : les choses changent, les consciences sont capables d’évoluer.

Six danseurs incarnent cette pièce. Comment se sont-ils approprié la thématique ?

B. D. : Ils sont, comme moi, métis et/ou issus d’anciennes colonies… Ce qui n’est sans doute pas un hasard et colore la façon dont ils se saisissent de la question. Nous avons beaucoup travaillé à partir d’images : photos, films, affiches, cartes postales témoignant de la construction raciste de l’autre. Nous aurions pu projeter pendant la pièce certains des films à partir desquels nous avons travaillé, mais je voulais me concentrer sur le mouvement, le corps : comment notre corps est-il affecté par de telles images ? Comment est-il imprégné de l’histoire coloniale et des représentations racistes ? Nous sommes donc partis de l’écoute du corps. En effet j’ai beaucoup travaillé l’intériorité, en tant qu’interprète, dans les compagnies d’Heddy Maalem et de Norma Claire : ce travail sur le ressenti a été central pour mon solo Mon appart en dit long, en 2010, et aujourd’hui, je veux transmettre cette qualité d’écoute, et tout ce qu’elle peut bouleverser en nous, à d’autres interprètes. Le thème des zoos humains nous renvoie à des questions très intimes, en même temps qu’à la nécessité de construire une distance : il s’agit d’atteindre une profondeur qui doit, je l’espère, bousculer le spectateur. Or pour toucher le spectateur, il faut que le danseur soit bousculé lui aussi !

 

Propos recueillis par Marie Chavanieux

A propos de l'événement

Bintou Dembélé
du jeudi 21 mars 2013 au dimanche 7 avril 2013
Théâtre d'Ivry Antoine Vitez
1, rue Simon Dereure 94200 Ivry-sur-Seine

Du 21 mars au 7 avril 2013, samedi à 18h, dimanche à 16h, mercredi à 14h30. Représentations scolaires. Tél. : 01 46 70 21 55.
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