La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Faire danser les alligators sur la flûte de Pan

Faire danser les alligators sur la flûte de Pan - Critique sortie Théâtre
Crédit : Compagnie Ivan Morane Légende : « Denis Lavant en Louis-Ferdinand Céline, génie et folie. »

Publié le 10 avril 2012 - N° 197

Denis Lavant incarne avec une bonhommie toute rageuse l’homme de lettres Céline, replié à Meudon, le jour de sa mort. Belle leçon de style au-delà des travers humains.

Le 30 juin 1961, Céline écrit à son éditeur Gallimard une lettre – il meurt le lendemain 1er juillet –  qui a trait à son prochain roman Rigodon dont il discute le contrat qu’il voudrait plus lucratif . Il précise : « … sinon je loue un tracteur et je vais défoncer la NRF ». L’éloquence de la formule donne le ton – dérision, ironie, vocifération – mais aussi la capacité d’humour du personnage, propre encore au spectacle d’Ivan Morane, Faire danser les alligators sur la flûte de Pan d’Émile Brami, d’après la correspondance de Louis-Ferdinand Céline. En effet, le franc-parler, la crudité et la violence, voilà les signatures de l’homme de lettres ; et dans la vie, l’absurdité de ses engagements antisémites. Médecin, Destouches part découvrir l’Afrique et les Etats-Unis ; il s’établit en banlieue parisienne, soignant les déshérités.  Céline écrit deux romans magnifiques, Voyage au bout de la nuit (1932) qui revient sur sa virée à l’étranger, et Mort à crédit (1936) qui évoque les années antérieures. Dès 1937, l’écrivain scandalise l’opinion par ses pamphlets haineux ; il fuit en 1944 avant de séjourner jusqu’en 51 au Danemark, prison, puis résidence surveillée. Amnistié, la culpabilité cerne l’écrivain qui finit sa vie à l’écart de la « meute » des critiques. L’écrivain porte un manteau pèlerine de médecin ; il s’allonge, de temps à autre, sur son lit de mort, chaussures aux pieds.

Une « pâte de vie » qui hurle, qui geint et qui a mal

Il rend compte de sa vision littéraire, égratignant au passage Gide, Sartre, Aragon, Malraux… L’écriture célinienne, novatrice et vivante, saisit avec brio l’émotion de ces cauchemars sans appel que furent les temps atroces de la première guerre – sang, boue, feu et salpêtre…-, révélation de la « connerie des hommes ». Le métro, qui va directement de bout en bout dans le tunnel de l’émotion, ébranlant le lecteur, est la comparaison de Céline pour définir son style. L’auteur se dit aux confins des émotions et des mots. Le succès de ses ouvrages l’étonne, sachant qu’il faut donner aux gens ce qu’ils attendent, « ce que veut le con, un miroir de con pour s’admirer en con » ; ils ne veulent pas la vérité. L’écriture est cette « pâte de vie » qui hurle, qui geint et qui a mal, une vie retenue entre deux mains, la vie présente « qui ne fait pas divaguer comme l’avenir ». Tordons la langue pour qu’elle parle à l’intérieur. L’écriture de Céline est une prose parlée transposée dont la magie ne tient pas aux mots mais aux « justes touches » qui font ressentir les émois. La parole est un drôle de langage d’écorché. Denis Lavant est au plus près des mots proférés et du sortilège troublant de leur musique.

Véronique Hotte


Faire danser les alligators sur la flûte de Pan, d’Émile Brami, d’après la correspondance de Louis-Ferdinand Céline, mise en scène d’Ivan Morane. Du 13 mars au 15 avril 2012, du mardi au samedi 21h, dimanche 16h. Théâtre de l’Épée de Bois – La Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris. Tél : 01 48 08 39 74

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