La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Danse - Entretien / Dominique Dupuy

Des jours de silence comme un appel à l’élan

Des jours de silence comme un appel à l’élan - Critique sortie Danse Paris Théâtre national de Chaillot
Crédit : Baptiste Almodovar Légende : Dominique Dupuy dans Acte sans paroles de Samuel Beckett.

Paris et régions / Manifestation plurielle / Jours de silence

Publié le 24 août 2016 - N° 246

A l’initiative de Dominique Dupuy est né Silence(s), un projet porté par le Théâtre national de Chaillot. Une trentaine de « Jours de silence » ont ainsi été conçus, qui seront égrenés de septembre 2016 à décembre 2017.

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de monter cet énorme projet autour du silence ?

Dominique Dupuy : Cela fait longtemps que Françoise (Dupuy ndlr) et moi naviguons avec le silence, une chose devenue rare dans notre monde d’aujourd’hui, entre injonctions bruyantes et musique qui envahit tous les espaces. Il est évident que  le spectacle Acte sans paroles de Beckett a motivé notre démarche. C’était une épreuve : quatre-vingt minutes de silence, il fallait tenir le coup. Nous l’avons présenté deux ans de suite au Théâtre national de Chaillot. La seconde année, mon partenaire circassien, Tsirihaka Harrivel, et moi, nous attelions à ce qu’il y ait le moins de bruit possible dans la salle. C’était très fort. Tout de suite après, j’ai d’abord pensé à en faire un spectacle, cette fois de danse. Puis, le temps passant, j’ai pensé que peut-être, il serait bien d’en faire autre chose, avec d’autres personnes. L’idée était de faire se côtoyer la pensée théorique et la pratique, dans diverses propositions vivantes mêlant ateliers, paroles, gestes, images, musiques…  Nous avons formé un petit groupe de gens qui ont tout de suite manifesté leur intérêt.

Comment l’avez-vous mis en place ?

D. D. : J’en ai parlé à Didier Deschamps. Il fut la première personne que je rencontrai autour de ce projet. Il est resté coi un bon moment. C’était très beau. Puis il s’est montré très enthousiaste. De fil en aiguille, j’ai demandé à des gens que je connaissais, de réfléchir, de proposer des contenus. Tout le monde a foncé et Didier Deschamps les a réunis à Chaillot. Nous avions imaginé une manifestation par mois sur une saison. Nous nous sommes vite aperçus que ça débordait, et finalement, nous programmons deux événements par mois jusqu’en décembre 2017. Pour la dernière conférence, intitulée « Le silence de la danse, ce que nous souffle le silence», j’ai invité la danseuse Caroline Marcadé, que je trouve extraordinaire.

Est-ce vous qui avez choisi les différents intervenants ?

D. D : J’ai réuni moi-même les premières personnes. Je suis très ami avec Christian Doumet, qui a été directeur de programme au Collège international de Philosophie. Il a convaincu un certain nombre de philosophes de participer et a proposé de piloter des « Leçons de silence ». Ainsi s’est dessinée la première base tangible. À partir de là, nous avons accueilli d’autres intervenants, notamment des artistes… J’avais envie que cette initiative prenne un autre tour que la seule intervention parlée. J’ai beaucoup travaillé pour convaincre des institutions très différentes, de façon à ce qu’il y ait un côté, sinon festif, du moins très divers. Ainsi, la première leçon du 24 septembre réunira Christian Doumet, Carolyn Carlson, et le chanteur compositeur David Hykes avec le percussionniste Bruno Caillat. J’aurais aimé avoir des interventions autour du toucher, de l’artisanat. Mon père était sculpteur amateur et c’est ainsi que j’ai pu appréhender le travail du toucher ; c’est peut-être le sens le plus proche du silence. Au Centre Mandapa, le toucher s’invitera de façon indirecte à travers l’Ikebana, la Cérémonie du thé… qui sont des activités très concrètes.

« Le silence a un aspect dynamique. Ce n’est pas une fin mais un début, une initiation. » 

Le silence est un sujet très vaste, comment l’envisagez-vous à titre personnel ?

D. D. : Je pense qu’il y a deux écueils à éviter absolument : l’idée que le silence est un arrêt, ou que c’est une méditation. Ces deux pôles ne sont pas très créatifs. Pour moi le silence a un aspect dynamique. Ce n’est pas une fin mais un début, une initiation. Il précède, c’est une anacrouse, la suspension avant l’action, avant la musique ou la parole. Pour la danse, c’est très important.

Vous vous intéressez même au silence des animaux…

D. D. : Sonia Soulas, la directrice de la Scène nationale de La Roche-sur-Yon, m’a proposé une intervention dans un haras. Quand j’ai pénétré dans cet endroit fantastique, j’ai été bouleversé par un silence prenant. Bien sûr, il y a les bruits de sabots, des hennissements, mais ce sont des bruits qui s’accordent au silence. Nous allons réaliser un périple dans le haras avec de la danse. Je me suis alors dit qu’il fallait absolument qu’on parle du silence des animaux. Wajdi Mouawad, le nouveau directeur du théâtre de la Colline, a écrit un livre sur les animaux a tout de suite été intéressé.

La danse est-elle un art du silence ?

D. D. : Pour moi le silence est un appel à l’élan, comme une espèce d’appui, et finalement, c’est très dansant. Il faut trouver un silence intérieur pour exprimer quelque chose à travers le geste… et le garder. Certains danseurs, même sur la musique, gardent à l’intérieur d’eux la question des interstices, des temps, des entre-deux, comme si leur danse préservait son propre rythme. C’est le temps profond de la danse et ce qui la rend intéressante à regarder.

 

Propos recueillis par Agnès Izrine

A propos de l'événement

Jours de silence
du jeudi 1 septembre 2016 au dimanche 31 décembre 2017
Théâtre national de Chaillot
1 Place du Trocadéro et du 11 Novembre, 75016 Paris, France

Tél. : 01 53 65 30 00.

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