La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2012 Entretien / Eric Macé

Cultures plurielles

Cultures plurielles - Critique sortie Avignon / 2012
Crédit photo : DR

Publié le 10 juillet 2012

L’essor et l’emprise des médias, des industries culturelles, des nouvelles technologies de l’information et de la communication, participent aujourd’hui des représentations de la « réalité » du monde social et se mêlent aux formes plus classiques de la culture. Le sociologue Eric Macé analyse l’impact des « médiacultures » et la redéfinition des missions des institutions culturelles.

 « Longtemps dominante, l’acception élitiste voit aujourd’hui sa suprématie battue en brèche. »
 
Plusieurs définitions de la culture entrent en concurrence aujourd’hui au point d’en flouter les contours. Peut-on parler de « crise » ?
Eric Macé : Les objets et pratiques culturels sont de plus en plus appréhendés sous l’angle anthropologique, qui ne hiérarchise pas mais postule que tout fait sens et participe de l’expression d’une société à une époque donnée. Ce regard se télescope avec la définition classique, plus étroite, de la culture, qui s’est instituée comme seule légitime, notamment à travers l’école, et qui considère le « reste » comme relevant du champ social ou de particularismes. Longtemps dominante, l’acception élitiste voit aujourd’hui sa suprématie battue en brèche, voire mise en crise, et se retrouve minoritaire dans les pratiques. Elle s’est constituée autour de l’Etat-Nation, donc comme nationale et socialement hiérarchisée tout en prétendant à l’universel. Or, depuis 50 ans, cette culture savante est débordée par les médias et par des formes qui outrepassent les frontières et la définition de classe. Cette évolution ne signifie pas l’abolition des disparités selon les âges et les catégories sociales. En fait, les différences ne portent pas tant sur les objets et les pratiques eux-mêmes que sur leur diversité. Plus l’individu est doté de capital culturel, plus il sera capable de naviguer dans différents codes, allant du classique au R’n’B par exemple.
 
N’assiste-t-on pas à un glissement des instances de légitimation, de l’institution, scolaire ou culturelle, vers le marché et le succès populaire ?
E. M. : L’élargissement du champ d’intervention du ministère de la Culture a été initié par Jack Lang, qui a élevé la BD au rang de 9e art par exemple. De même, la danse contemporaine a intégré le hip hop le plus créatif, l’œuvre de Jimi Hendrix est étudiée en classe… Autrement dit, la culture instituée essaie de prendre en compte ce qui se fait en dehors d’elle. Mais elle reste relativement conservatrice et souvent perçue comme exigeante, auto-référencée, coupée du grand public car nécessitant la maîtrise des codes. Surtout, elle est concurrencée par les dynamiques créées par les industries culturelles, qui véhiculent une culture de masse omniprésente, populaire, en renouvellement permanent, qui tendent à imposer leurs critères de légitimation, plus fondés sur l’audience et le résultat économique.
 
La verticalité de la transmission des savoirs, par le biais de l’école notamment, est contestée par une horizontalité, qui fonctionne sur le mode de la communication où chacun est « émetteur ». Quelles sont les conséquences ?
E. M. : La transmission verticale des savoirs cultivés, en particulier par la famille, a longtemps participé des mécanismes de reproduction sociale et permis aux classes dirigeantes d’asseoir leur pouvoir. Aujourd’hui, pour réussir socialement, il est de moins en moins nécessaire de posséder une culture classique très développée. Celle-ci devient une ressource, parmi d’autres.
 
Bourdieu disait qu’il fallait se demander d’abord qui fait et non que fait l’artiste. La puissance de feu des industries culturelles est sans commune mesure avec celle des institutions. N’y a-t-il pas de risque quant à la qualité artistique ?
E. M. : Qu’elles soient portées par les industries culturelles, les institutions ou les manuels scolaires, toutes les représentations traduisent un regard sur le monde et sur l’humain. L’artiste se nourrit du monde dans lequel il vit. En témoigne le Pop art. Andy Warhol fut un des premiers à intégrer la nouvelle donne de la société de consommation. Il existera toujours des formes d’assemblages et de créativité qui échapperont à l’usinage industriel.
 
Quels sont les enjeux de la mission des institutions culturelles dans ce contexte ?
E. M. : La gestion patrimoniale et le repli sur l’élitisme éclairé ne pourront pas continuer longtemps. Il ne s’agit pas pour autant de singer le marché. Les institutions peinent parfois à trouver leur place. Elles doivent travailler sur les circulations, les connexions inattendues entre ce qui relève de la culture, au sens artistique, et son environnement contemporain. Elles doivent provoquer la friction entre les œuvres, les publics, les modes de consommation et les représentations. Les films, à l’instar de Matrix, se gênent-ils pour piocher dans la littérature ou la philosophie ?
 
Entretien réalisé par Gwénola David


A lire : Eric Macé et Eric Maigret, Penser les médiaculture. Nouvelles pratiques et nouvelles approches de la représentation du monde, éditions Armand Colin, Paris, 2005.

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