La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Coupes sombres

Coupes sombres - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Rond-Point
Guy Zilberstein © Jeremy Barnett

Théâtre du Rond-Point / texte de Guy Zilberstein / mes Anne Kessler

Publié le 19 février 2018 - N° 263

A partir d’une situation conflictuelle mais comique entre un auteur et une metteuse en scène, Guy Zilberstein livre une véritable théorie sur la représentation théâtrale et la tragédie. Une vision du théâtre forgée à l’aune du choc du 11-Septembre.

Vous faites un parallèle entre les « coupes sombres » en sylviculture et les coupes littéraires. Quelles sont les similitudes ?

Guy Zilberstein : En sylviculture, une coupe sombre consiste à supprimer d’un massif une partie des arbres qui le composent pour permettre un ensemencement du sol plus aéré. Contrairement à l’expression couramment utilisée dans le monde du travail (par exemple « faire des coupes sombres dans les effectifs »), le terme ne contient rien de péjoratif. Il s’agit simplement d’une technique. Dans ma pièce, je ne me prononce pas sur l’aspect vertueux ou non des coupes littéraires. Le procédé est classique et existe à des degrés divers, de l’éditeur qui demande à son auteur de supprimer des pages d’un roman au producteur qui arrache des pages entières d’un scénario. Au théâtre, c’est un peu plus civilisé : on demande son sentiment à l’auteur, on essaie d’obtenir des coupes sur des volumes de texte relativement courts.

Plus qu’une charge sur cette pratique, ce qui semble vous intéresser est la notion de « reconstitution judiciaire » comme modèle dramatique de référence en lieu et place de la « représentation ». Que voulez-vous dire ?

G.Z. : C’est le sujet d’un livre que j’écris : Du spectateur au témoin. Jusqu’au 11-Septembre, la tragédie s’est transmise par le moyen du récit. Le 11-Septembre a mis fin à toute pertinence du récit dans la mesure où le monde entier a vu en direct des scènes de tragédie. Cela a créé une bascule. Le monde s’est peuplé de témoins, ce qui rend désormais impossible la représentation mais contraint à la reconstitution devant des spectateurs mués en témoins. Dans la reconstitution judiciaire, le magistrat demande au policier de jouer la victime, à l’assassin de la frapper avec un couteau de haut en bas… Cette proposition aide les témoins à se faire une idée de la vérité. Pour moi, aujourd’hui, l’utilité du théâtre est de concourir à la vérité.

« L’utilité du théâtre est de concourir à la vérité. »

 

Comment faites-vous comprendre au public qu’il assiste à une reconstitution et non à une représentation ?

G.Z. : Cela tient à la manière de jouer. Par exemple dans Coupes sombres, mise en scène par Anne Kessler, la pièce est jouée dans le décor de celle qui va suivre, les comédiens viennent avec les habits qu’ils portaient sur eux. C’est une manière de diriger qui n’est pas du tout traditionnelle où le prérequis est qu’on reconstitue des faits qui se sont réellement passés. Je crois d’autant plus aux reconstitutions au théâtre, devant un public qui est un être collectif, que l’on veut réfléchir à des problématiques complexes. La complexité, c’est une situation qu’un individu ne peut pas appréhender seul.

Est-ce pour cela que les positions des deux personnages principaux, d’abord caricaturales, finissent par se rencontrer ?

G.Z. : Une situation complexe ne peut se dénouer que si s’installent une réflexion collective et un dialogue. C’est le véritable axe sous-jacent de la pièce. On ne peut pas faire abstraction du fait que nous vivons dans un monde complexe ni que le rapport à la tragédie a changé. Dans la tragédie antique, la mécanique est très simple : le crime appelle la vengeance qui elle-même se matérialise par un crime, qui lui-même appelle une vengeance… Mais à un moment donné arrivent Les Euménides d’Eschyle où les dieux décident d’arrêter ce cercle vicieux. Le crime n’appelle plus la vengeance : il appelle la sanction. C’est le début du droit et la fin de la tragédie. Or aujourd’hui, le droit est vacillant. Il existe donc le risque d’un mouvement inverse qui fasse renaître la tragédie et la barbarie.

Entretien réalisé par Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

Coupes sombres
du mardi 13 mars 2018 au dimanche 15 avril 2018
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin-Roosevelt, 75008 Paris.

à 18h30. Tél. : 01 44 95 98 21.

Le texte de la pièce ainsi que Du spectateur au témoin sont édités aux éditions des Quatre-Vents (à paraître le 13 mars).

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