La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2009 Entretien Jean-Michel Lucas

Construire de l’émancipation plutôt qu’adresser une offre

Construire de l’émancipation plutôt qu’adresser une offre - Critique sortie Avignon / 2009

Publié le 10 juillet 2009

Universitaire, conseiller technique dans le cabinet de Jack Lang, DRAC d’Aquitaine : Jean-Michel Lucas a autant agi dans le domaine des politiques culturelles que réfléchi sur leur devenir et leur légitimité. Sous le pseudonyme de Doc Kasimir Bisou, il inscrit son militantisme culturel dans une réflexion sur les enjeux démocratiques et républicains de la culture.

Pensez-vous que la culture soit en danger ?
Jean-Michel Lucas : Les enjeux culturels pour la démocratie sont en danger, oui. La conséquente baisse des budgets en est un symptôme, mais le plus important, c’est l’absence de prise en considération par le politique et pour la république des enjeux culturels. Le rapport de la commission Balladur, préparatoire aux lois de décentralisation, le dit bien : la culture est une affaire « délicate », ce qui signifie qu’on ne veut pas s’en mêler. Cela tient en première responsabilité aux politiques qui ne prennent pas en charge la question dans le débat public mais de plus en plus aux acteurs culturels eux-mêmes, qui sont réticents à se mobiliser pour se battre. La seule demande un peu organisée concerne les moyens. Ceux des acteurs culturels qui pensent avoir besoin des ressources publiques ne se posent paradoxalement pas sur le terrain des valeurs à défendre dans une société de liberté.

Que cache alors le discours sur la crise ?
J.-M. L. : La notion de crise sert de paravent. Il y a toujours eu crise. Dans une démocratie, dans la nôtre, une politique publique doit se positionner par rapport aux autres possibles. Il n’y a pas de canapé où ronfler : à chaque moment il faut monter au créneau. La vision française héritée de Malraux a ses défenseurs mais ils ne sont pas très actifs, et l’espace de la délibération publique n’est guère agité par ces questions. Par ailleurs, les citoyens ont d’autres soucis que ceux-là puisqu’à plus de 50%, ils ne sont pas concernés par l’offre culturelle proposée. Derrière cette question de la culture, c’est la crise des énonciateurs de culture qui se pose : ils ne sont reconnus que par ceux qui fréquentent leur offre. Les autres construisent leur culture autrement, et souvent au pire quand ils le font avec les offres du marché. Le problème est donc doublement pervers. Pourtant, il y a un référentiel qui permettrait d’ouvrir le débat : celui de la négociation internationale, celui des droits culturels formulés par l’Unesco. Mais on refuse de prendre en compte ce référentiel.

« Le plus important, c’est l’absence de prise en considération par le politique et pour la république des enjeux culturels. »

Que recouvre l’idée de « droit culturel des personnes » dont vous affirmez la nécessité ?
J.-M. L. : Qu’on le souhaite ou non, dans une démocratie, chaque personne détient la liberté de sa conscience et de son expression. Chacun peut revendiquer son identité culturelle tant qu’il ne porte pas atteinte à la dignité culturelle des autres. Il faut organiser l’enjeu politique comme celui de la confrontation de ces identités culturelles et créer des lieux, des temps, des dispositifs qui favorisent la confrontation des différentes libertés culturelles et dans lesquels des créateurs, des expérimentateurs culturels, puissent mettre en forme sons et images qui nourrissent cette interaction. C’est alors que peut naître une dynamique où la culture des uns, les artistes, se confronte à la culture des autres, qu’on appelle le public, qui est composé de personnes humaines qui ont une culture à part entière. Une véritable politique culturelle est celle qui prend en compte cette confrontation et ne se contente pas de diffuser ce qui est supposé être la vraie culture à un peuple qui n’en aurait pas. Il s’agit de faire se rencontrer des dignités, non pas dans un rapport d’enseignement, de maître à élève, mais dans un rapport d’homme à homme, de personne à personne. S’il y a crise, c’est qu’on a transformé ce mouvement en épicerie, épicerie de luxe d’une part, épicerie populaire d’autre part.

Quelle est la place du festival d’Avignon dans cette perspective ?
J.-M. L. : Il ne faut pas qu’il soit seulement un moment d’épanouissement individuel et de consommation de produits satisfaisant la sphère privée. La démocratie suppose la capacité de vivre ensemble dans la tension entre des cultures parfois opposées. En ce sens, il faudrait que ce festival, comme toute manifestation, soit un moment de construction de la société et n’ait pas seulement un effet sur les individus, renvoyant chacun à son plaisir intime. Frédéric Mitterrand affirme vouloir œuvrer pour « la culture de chacun ». Renvoyer les individus à leur intimité, voilà qui est à éviter dans une république ! L’enjeu est de construire de l’émancipation et non pas seulement d’adresser une offre à ceux capables de s’enrichir. En cela, il y a crise car les offreurs de culture ne savent plus ce qu’ils offrent. Si on veut que l’émancipation ait du sens, il faut être humble et repartir de la liberté de chacun à construire son identité. C’est pour ça qu’on n’avance pas à force de réclamer tout pour le peuple et rien par le peuple.


Propos recueillis par Catherine Robert

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