Comme il vous plaira

Comédie pastorale légère? Comédie de travestissement romanesque qui à la suite d’imbroglios dans la Forêt d’Ardenne se conclut par une happy end générale ? La pièce s’aventure bien au-delà de sa trame fictive, et c’est cette profondeur que le talent de Christophe Rauck parvient à nous montrer avec une intelligence dramatique aiguisée. L’œuvre aborde les thèmes de l’amour et du désir, en orchestrant une fine confrontation entre représentation poétique et lucidité concrète, de l’usure du temps qui rend la vie si brève, du théâtre qui n’est qu’illusion et pourtant nous instruit sur la vie. La beauté et la netteté de la scénographie frappent par la pertinence des éléments qui la composent. Un sol noir et brillant quasi nu laisse toute sa place au jeu théâtral qui reflète le monde. Comme le dit la devise du théâtre du Globe : « Le monde entier est un théâtre. » La scène est ceinte de vastes et superbes toiles peintes, qui ouvrent l’espace vers la forêt et ses possibles. Des animaux empaillés surgissent dont, en figure centrale, un cerf majestueux. D’entrée de jeu, sa présence frappe : en tant que cible privilégiée de la chasse à courre, il est le signe d’une tendance guerrière chez les hommes. L’homme, intimement lié à la Nature, sème concorde ou discorde : un thème shakespearien qui se renouvelle à chaque génération.

L’esprit des femmes aux commandes

L’intrigue frôle le tragique : un Duc est banni par son jeune frère. Il autorise sa nièce à rester à la cour car un amour profond lie sa fille Célia et sa nièce Rosalinde, puis chasse aussi cette dernière. Les deux jeunes filles décident de s’enfuir en se travestissant – Rosalinde en Ganymède, page masculin de Jupiter, et Célia en Aliéna. Le metteur en scène a choisi de resserrer la narration, afin de mettre en valeur les joutes amoureuses et le sublime monologue de Jacques le mélancolique sur les sept âges de la vie. Fort de son expérience, Christophe Rauck revient à cette pièce vingt ans après une première mise en scène qui ne l’avait pas satisfait, et l’éclaire aujourd’hui de fort belle manière. Il est impressionnant de constater à quel point les femmes ont de l’esprit dans cette partition ! Les splendides et parfois fantasques costumes – so British – traversent les époques, tout comme la bande sonore et les chants, qui naviguent de Purcell à un tube disco. Cécile Garcia Fogel (Rosalinde), Maud le Grévellec (Célia), et Luanda Siueira, soprano et ici comédienne (Phébé), sont absolument formidables. Pierre-François Garel (Orlando), John Arnold (Jacques), Alain Trétout (Pierre de Touche) déploient un jeu tout en finesse. Une mise en scène réjouissante et maîtrisée qui, au-delà de la fable, célèbre la juste distance du théâtre.

Agnès Santi