La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Danse - Entretien

Christine Macel et Emma Lavigne

Christine Macel et Emma Lavigne - Critique sortie Danse
Crédit : Jean-Claude Planchet Légende : Christine Macel, conservatrice en chef au Centre Pompidou, commissaire de l’exposition Danser sa vie. Crédit : Hervé Véronèse Légende : Emma Lavigne, conservatrice au Centre Pompidou, co-commissaire de l’exposition Danser sa vie

Publié le 10 novembre 2011 - N° 192

« Danser sa vie », une exposition événement au Centre Pompidou

Art et danse de 1900 à nos jours : un champ d’exploration extrêmement bouillonnant artistiquement et intellectuellement, qui conjugue la naissance de la modernité en danse avec l’effervescence des arts visuels. Les deux commissaires de l’exposition, Christine Macel et Emma Lavigne, démontrent qu’à Beaubourg, la danse déborde du simple cadre de la salle obscure.

« On ne peut pas faire une histoire de l’art sans inclure la danse comme art majeur. »
 
Que recouvre le titre « Danser sa vie » ? Il dépasse la simple vision subjective, voire autobiographique de la danse…
 
Emma Lavigne : le point de départ du projet, c’est la façon dont la danse et les arts modernes ont conjugué leurs réflexions pour inventer d’autres formes chorégraphiques et plastiques et se libérer du carcan de la danse académique. Nous montrons que la figure du danseur va réinventer la danse au rythme des aspirations de sa vie. D’où l’importance de la figure du solo, par l’intermédiaire notamment de la danseuse Isadora Duncan à qui nous empruntons l’expression « Danser sa vie ». C’est cet élan que nous voulions montrer : on sort de formules collectives de la danse pour au contraire renouer avec une individualité qui permet à la danse et à l’art de se projeter dans la modernité.
 
Christine Macel : L’art et la vie : c’est vraiment, pour les artistes au XXème siècle, un mot d’ordre qui signe cette lignée de l’art, jusqu’à la performance. Elle s’est incarnée particulièrement dans l’art des années 60 jusqu’à aujourd’hui. Nous voulions montrer aussi les suites que cette expression d’Isadora Duncan pouvait avoir dans l’art contemporain.
 
Etes-vous allées chercher dans des œuvres qui posent la problématique de la représentation du corps en mouvement ? Votre démarche démarre en 1900, où la photographie et le cinéma ont bouleversé ces représentations…
 
E. L. : C’est un aspect central de l’exposition, même s’il ne s’agit pas d’une exposition sur l’iconographie de la représentation de la danse. C’est vraiment la question de la contamination des médiums, la façon dont un peintre peut être inspiré par une danseuse – on pense à Mary Wigman qui a fortement inspiré Nolde et Kirchner – et inversement comment un artiste peut inspirer très fortement un chorégraphe – l’intérêt de Merce Cunningham pour Marcel Duchamp. Nous montrons évidemment des représentations iconographiques de la danse, comme le chef-d’œuvre de Matisse La Danse, mais aussi des éléments d’archives, des notations de chorégraphies, et beaucoup de films qui permettent de comprendre comment les artistes et les chorégraphes ont réinventé le corps en mouvement tout au long du XXème siècle.
 
C’est un voyage que vous avez recomposé en plusieurs parties distinctes. Quelles sont-elles ?
 
C. M. : La première partie correspond à l’émergence de la subjectivité moderne à travers une nouvelle manière de vivre le corps. C’est l’idée que la danse est une expression de soi, qui permet aussi la construction de soi. Ça vient de Delsarte, ça continue avec Duncan, puis dans l’idéologie expressionniste allemande. Jusqu’à l’exemple contemporain de Pina Bausch, qui est l’héritière de cette lignée. La deuxième partie commence avec Loïe Füller et l’invention d’un ballet optique, cinétique, à partir d’un corps en mouvement qui disparaît en tant que sujet pour devenir une forme. C’est incarné ensuite dans un étroit dialogue avec les arts visuels, jusque dans les années 60-70 avec un Nicolas Schöffer ou un Alwin Nikolais, sans parler des extensions plus virtuelles. La dernière partie montre le dialogue très étroit, voire fusionnel, qu’ont entretenu la performance et la danse de l’époque des dadaïstes dans le Zürich des années 10, jusqu’à la période contemporaine où, après Pollock et Klein, et les expérimentations américaines des années 60-70, on retrouve une vraie fusion des pratiques.
 
N’est-ce pas une exposition un peu tentaculaire, par les thématiques, les champs qu’elle recouvre, comme par les médiums qu’elle convoque ?
 
C. M. : Nous sommes partisanes du fait que la séparation des médiums est complètement contraire à la pensée des artistes. Souvent, les artistes ont été beaucoup plus ouverts que les récepteurs ou les organisations de la conservation de leurs œuvres. C’est moins tentaculaire que fidèle aux pratiques, et c’est pour nous une manière de dire qu’on ne peut pas faire une histoire de l’art sans inclure la danse comme un art majeur. C’est un message fort de l’exposition. Emile Nolde est connu comme peintre, il est moins connu comme admirateur de danseuses, de Mary Wigman, qu’il a conseillée pour partir à Ascona chez Laban, et qu’il a accompagnée toute sa vie. Tous ces liens qui sont souvent considérés comme mineurs sont pour nous des faits majeurs, dans la mesure où l’on ne fait pas de distinction hiérarchique.
 
Propos recueillis par Nathalie Yokel


Danser sa vie, art et danse de 1900 à nos jours, du 23 novembre 2011 au 2 avril 2012, au Centre Pompidou, place Georges Pompidou, 75004 Paris. Tel : 01 44 78 12 33. Publications aux éditions du Centre Pompidou : Danser sa vie. Art et danse de 1900 à nos jours, catalogue de l’exposition, sous la direction de Christine Macel et Emma Lavigne. Danser sa vie. Ecrits sur la danse, sous la direction de Christine Macel et Emma Lavigne. Programme des spectacles, programmation Vidéodanse 2011 et conférences sur www.centrepompidou.fr

A propos de l'événement


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