La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Gros Plan

Ceux qui restent

Ceux qui restent - Critique sortie Théâtre Paris Le Monfort

REPORTAGE/ Le Monfort /Conception et mise en scène David Lescot/Spectacle à partir de témoignages.

Publié le 25 février 2014 - N° 218

Paul Felenbok, 78 ans, un des plus jeunes survivants du ghetto de Varsovie, est revenu le printemps dernier, à l’occasion du 70e anniversaire de l’insurrection du ghetto, sur les traces de son passé. L’écrivain et metteur en scène David Lescot porte son témoignage en scène dans une pièce d’une puissante humanité.

La grisaille voilait le ciel mouillé ce jour-là. Depuis près d’une demi-heure qu’on avait quitté Varsovie pour Otwock, un village au bord de la Vistule, la campagne défilait aux fenêtres du minibus, à peine tirée de la torpeur d’hiver. A l’avant, Paul Felenbok guettait. Soudain, à l’orée d’un bois, juste avant de passer un pont, il lança : « C’est là ! C’est peut-être là… ». Dehors, en retrait de la route, vivotait une bâtisse en bois délabrée, villégiature cossue dans un lointain autrefois. « Certains paramètres font que ça pourrait être cette maison » se reprend en toute rigueur l’astrophysicien à la retraite. « L’endroit était assez isolé mais forcément près de la route car nous avons vu par le soupirail l’armée allemande partir puis, le lendemain, un char de l’avant-garde soviétique venant de Varsovie passer le pont. Nous sommes sortis… L’officier nous a dit de nous sauver vers Lubin, capitale provisoire de la Pologne libérée. Nous sommes aussitôt partis. » C’était au matin du 30 juillet 1944. « Ça me fout un sacré coup. », lâche Paul à sa femme Betty, le cœur chancelant. Il vient sans doute de retrouver la maison où il vécut plusieurs mois caché dans la cave avec son frère Georges, le dernier lieu resté jusqu’alors dans l’ombre de son enfance de petit Juif polonais. Il avait alors 8 ans et avait fui le ghetto de Varsovie, peu avant l’insurrection du 19 avril 1943 qui devait le ravager. Il en est aujourd’hui l’un des plus jeunes survivants.

Vivre au milieu des morts

Né en 1936, Pawel, comme il s’appelait à l’époque, a grandi rue Leszno, artère alors fort animée, qui se retrouva dans l’enceinte du ghetto. « Nous avons pu rester dans notre appartement assez longtemps. Des gens sont venus habiter chez nous. Puis, l’enceinte du ghetto se rétrécissant de plus en plus, à mesure de la déportation des Juifs, on a dû déménager, plusieurs fois. On n’avait pas le droit de sortir, ni de regarder par la fenêtre. On vivait caché. » explique Paul, qui ne se souvient de ces années que par bribes. « Une de mes tantes était dans la résistance. On a su que les Allemands allaient liquider le ghetto. On n’a pas pu emmener les grands-parents, trop malades. On leur a laissé des vivres et on a décidé de partir, avec la famille de l’associé de mon père. Mon oncle Léon nous a fait sortir de Varsovie par les égouts. »

Dehors, commence alors une vie de traque, de cache en cache. Les Felenbok restent près d’un an dans le sous-sol d’une villa en construction à Zoliborz. Le père, artisan joaillier, avait fabriqué pour ses fils des boucles de ceinture en or dépoli, qui pourraient les aider en cas de besoin. C’est au moment du transfert vers Otwock que les parents disparurent. « J’ai compris très rapidement que mes parents étaient morts. (…) mais la mort ce n’était pas un problème. Qu’untel soit mort, c’était ça la vie. ». L’antisémitisme toujours prégnant en Pologne et la disparition de la famille poussent son frère, de 12 ans son aîné, à organiser leur venue en France en 1946. Paul est accueilli au foyer d’Andrésy, dans les Yvelines, géré par la Commission centrale de l’enfance (CCE), issue de l’Union des Juifs pour la résistance et l’entraide. « J’ai eu la chance d’avoir eu des éducateurs faramineux. ». Il apprend le français, redécouvre le plaisir des jeux, de la nature en liberté… et trace son destin. Il se hisse jusqu’au bac, s’oriente vers la physique puis entre dans le laboratoire d’astrophysique de Meudon et au CNRS.

Témoigner pour transmettre

Le silence longtemps a muré la mémoire. « Dans les maisons d’enfants, entre nous, nous ne parlions jamais de ce qui s’était passé avant, ni des parents… Ça n’existait pas. ». Les années fissurent pourtant peu à peu la chape coulée sur le passé. Paul revient pour la première fois à Varsovie en 1993, avec son frère, « seul capable de retrouver des traces », qui avait refusé jusqu’alors de l’amener sur les lieux de son histoire. « Je n’ai rien de mes parents. Je n’ai même pas une photo de ma mère. J’ai écrit sur eux pour qu’il reste quelque chose. ». Son témoignage fut lu le 19 avril 2012 au Mémorial de la Shoah à Varsovie par Véronique, sa fille aînée.

L’écrivain et metteur en scène David Lescot, qui a connu les colonies de vacances de la CCE dans les année 80, a recueilli ces paroles, qu’il a croisées avec celles de la cousine de Paul : Wlodka Blit-Robertson, 11 ans en 1943, fut sauvée du ghetto et cachée à la campagne dans une famille polonaise, puis en 1946, avec sa sœur jumelle, rejoint son père, un membre important du Bund, organisation socialiste juive, réfugié à Londres. « Le récit singulier de deux enfants dans la guerre, puis la construction de leur vie dans l’Europe de l’après-guerre, peut toucher n’importe qui. », dit David Lescot, qui a retranscrit ses entretiens avec Paul et Wlodka pour concevoir Ceux qui restent. Portés en scène sans artifice par Marie Desgranges et Antoine Mathieu, leurs mots disent la vie d’alors vue par des enfants. Sans pathos aucun. Et cette simplicité livre à la fois tout l’effroi de leur parcours et leur extraordinaire puissance de résilience.

Gwénola David, envoyée spéciale à Varsovie

A propos de l'événement

Ceux qui restent
du mercredi 5 mars 2014 au dimanche 23 mars 2014
Le Monfort
106 Rue Brancion, 75015 Paris, France

Les 5, 6, 7, 8, 19, 20, 21, 22 mars à 21h, les 9 et 23 mars à 17h. Dans le cadre du festival (Des)Illusions. Tél. : 01 56 08 33 46.

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