La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Classique / Opéra - Entretien / Roberto Alagna

CARMEN

CARMEN - Critique sortie Classique / Opéra Paris Opéra Bastille
Légende : Roberto Alagna. © Stella Orion

OPERA BASTILLE / NOUVELLE PRODUCTION

Publié le 24 janvier 2017 - N° 251

Roberto Alagna connaît le rôle de Don José par cœur. Il l’a chanté maintes fois et avec différentes partenaires. Loin des traditions ou des stéréotypes, il a une vraie vision du personnage qu’il a pu déployer dans cette mise en scène de l’Espagnol Calixto Bieito.

C’est la première fois que vous chantez Carmen à l’Opéra de Paris. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?

R. A. : Je suis ravi ! Cet opéra m’a accompagné toute ma vie, je l’ai chanté sur les plus grandes scènes du monde, seul Paris manquait à mon tableau ! De plus, j’aime beaucoup cette production du metteur en scène Calixto Bieito. Quand nous l’avons créée en Espagne, nous nous sommes beaucoup impliqués tous les deux. Par exemple, les récitatifs parlés représentent toujours un problème pour les metteurs en scène : les textes sont souvent datés et on a du mal à les comprendre quand les chanteurs sont étrangers. J’ai proposé de supprimer tous les dialogues qui n’étaient pas essentiels. Cela donne une lecture de Carmen moderne, très cinématographique, très forte.

Est-ce que cette production transposée dans l’Espagne contemporaine vous a fait changer de point de vue sur Don José ?

R. A. : On retrouve la mentalité espagnole d’aujourd’hui avec les gitans qui font de la contrebande d’électroménager dans des terrains vagues. Surtout, j’ai réussi à imposer le José que j’aime. Un José qui évolue, qui n’est pas ce nigaud que Carmen mène par le bout du nez. La victime, c’est lui, mais c’est aussi Carmen qui n’arrive pas à accepter sa condition de gitane, un peu comme Manrico dans Le Trouvère. Dans cette production, Carmen est traitée très durement par Le Dancaïre et le Remendado qui l’obligent à faire de la contrebande. Elle sent que José est dangereux : il a déjà tué quelqu’un, elle pense qu’en le séduisant, il tuera peut-être le Remendado (comme dans la nouvelle de Mérimée), mais il y a quand même de l’amour entre eux. Pour moi, José ressemble à Athanaël dans Thaïs qui tombe amoureux d’une courtisane et veut ensuite la sauver. J’aime ce côté prophète maudit en quête de pureté. Avec Calixto Bieito, j’ai pu explorer ce côté du personnage.

« Je me suis aperçu que le personnage central n’est pas Carmen, mais José. »

Vous avez chanté Don José pour la première fois à 30 ans. Qu’est-ce que l’âge apporte à l’interprétation du rôle ?

R. A. : Aujourd’hui je suis beaucoup plus tolérant envers José. Quand on est jeune, on considère une erreur comme une vraie faute. Avec la maturité, on apporte des nuances. Je me suis aperçu que le personnage central n’est pas Carmen, mais José. Contrairement à elle, lui connaît une vraie évolution : le pardon avec sa mère, la relation étrange avec Micaëla, le chef de famille qui tue une femme et se retrouve banni à Séville, le catholique, le macho qui a du mal à dire « je t’aime » mais finit par le dire dans l’air de la Fleur. C’est lui le plus compliqué.

Sur le plan vocal, est-ce plus ou moins facile de chanter ce rôle à 50 ans ?

R. A. : Carmen donne l’impression que c’est une œuvre facile mais ce n’est pas le cas. Quand on demandait à Georges Thill les rôles les plus difficiles pour lui, il citait Don José et Paillasse. Les deux tessitures sont en effet comparables : une tessiture centrale mais toujours sur les notes de passage qui sont les plus délicates pour le chanteur lyrique. C’est un rôle usant par l’émotion qu’il génère. Prenons « La Fleur que tu m’avais jetée ». On ne sait jamais comment aborder cet air, avec le piano de la fin que Bizet n’a en réalité jamais écrit. Pour ma part, je ne prévois jamais rien à l’avance. Sur scène, je l’ai chanté de toutes les manières possibles. Parfois, presque honteux de dire « Carmen je t’aime », je prends une voix de  fausset. Parfois, le macho prend le dessus, je le dis alors comme un cri de désespoir, donc forte. Parfois c’est un entre-deux : un suprême effort dit avec un son qui s’étouffe. Du moment que l’émotion naît de l’instant, ça fonctionne !

 

Propos recueillis par Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

CARMEN
du vendredi 10 mars 2017 au dimanche 16 juillet 2017
Opéra Bastille
Place de la Bastille, 75012 Paris, France

Tél. 08 92 89 90 90. Places : de 5 à 252 €.

 

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