La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

2666

2666 - Critique sortie Théâtre Paris Odéon-Théâtre de l’Europe - Ateliers Berthier
Julien Gosselin déploie son art de la narration scénique. Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage

D’après Roberto Bolaño / Mise en scène Julien Gosselin

Publié le 5 septembre 2016 - N° 246

Julien Gosselin porte à la scène l’œuvre-monde du romancier chilien Bolaño (1953-2003). Et remporte son défi !

C’est lors d’un congrès de littérature allemande à Brême, en 1994, que se rencontrèrent Manuel Espinozi, espagnol, Piero Morini, italien, Liz Norton, anglaise, et Jean-Claude Pelletier, français, tous les quatre éminents spécialistes et traducteurs de l’auteur allemand Benno von Archimboldi. Depuis, de séminaires internationaux en symposiums européens, de débats enlacés en marivaudages universitaires, ces trentenaires aventureux traquent le mystérieux écrivain tapi dans l’ombre de son histoire. Leurs récits sur cette rencontre littéraire foudroyante, leurs exégèses savantes, leur passion érudite aiguisée au fil du temps crayonnent peu à peu la silhouette d’un « monstre du romanesque » qui s’esquive entre les lignes de chacun de ses ouvrages. Une notice bibliographique situe sa naissance en Prusse en 1920. Des témoins semblent s’accorder sur son imposante stature, sa bravoure et son engagement dans la Wehrmacht durant la seconde guerre mondiale. Un autre le dit maintenant parti pour Santa Teresa, au Mexique, ville-frontière maudite où s’amoncèlent les corps de centaines de femmes violées… Dans 2666, œuvre laissée inachevée en 2003, le chilien Roberto Bolaño pose ainsi quelques-unes des premières pièces d’un puzzle infini où s’imbriquent les intrigues foisonnantes d’un écheveau narratif qui s’enfonce à travers les sombres dédales du 20e siècle, au cœur de l’humain, de l’art et du mal.

Tension dramatique

Comment accoster ce « roman-monde », sans début ni fin, qui mêle de multiples styles, tons, récits et thèmes ? Julien Gosselin, qui avait déjà dompté Les particules élémentaires de Houellebecq en 2013, a suivi la structure de l’œuvre en cinq parties sans se contenter d’attifer la littérature en costumes mais en cherchant la traduction théâtrale de la variété stylistique et des travellings descriptifs ou introspectifs. Après « La partie des critiques » introductive, il nous guide ainsi dans les méandres qui mènent vers Santa-Teresa, cité imaginaire inspirée de Ciudad Juárez : « La partie d’Amalfitano », errance philosophique d’un vieux professeur qui y a émigré avec sa fille, « La partie de Fate », enquête sur les meurtres sexuels menée par un jeune journaliste noir nord-américain venu assister à un match de boxe là-bas, « La Partie des crimes », litanie documentaire de ces mises à mort impunies, enfin « La partie d’Archimboldi », qui noue horreurs d’hier et d’aujourd’hui. Julien Gosselin et son équipe captivent l’attention près de douze heures durant par leur jeu collectif et leur maîtrise de la narration scénique, usant de la musique comme ampli émotionnel, de la scénographie et de la vidéo pour diffracter l’espace de la fiction, explorer l’intimité hors-champ, combiner le zoom et le plan large. La tragédie se frotte ici au sitcom, au polar en série, au boulevard contemporain ou encore au concert électro. Elle effleure aussi la réflexion sur la littérature, souvent piquée d’humour et de malice, que Bolaño glisse dans les 1352 pages (édition folio) de 2666. Que peut la fiction face au réel du mal ? Rien, sinon continuer le combat !

Gwénola David

 

A propos de l'événement

2666
du samedi 10 septembre 2016 au dimanche 16 octobre 2016
Odéon-Théâtre de l’Europe - Ateliers Berthier
1 Rue André Suares, 75017 Paris, France

En intégrale à 11h les weekends ou en deux soirées consécutives de 4h35 et 5h30 à 18h les mercredis et jeudis. Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Spectacle vu au Festival d’Avignon 2016. Durée : 11h30 avec entractes.

 

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