La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

1336 (parole de Fralibs)

1336 (parole de Fralibs) - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de Belleville
Philippe Durand dans 1336 (parole de Fralibs). © Stéphane Burlot

Théâtre de Belleville / de et par Philippe Durand

Publié le 19 février 2018 - N° 263

Face aux transformations du monde du travail, Philippe Durand livre une belle parole d’espoir. Celle des Fralibs, ouvriers qui, au terme d’une lutte de 3 ans et 241 jours contre la multinationale Unilever, ont créé leur propre marque de thés, 1336.

On ne naît pas Fralib, on le devient. Le thé, dit le premier ouvrier dont Philippe Durand convoque la parole dans 1336 (parole de Fralibs), ça se cuisine. Et cuisiner, c’est un art qui s’apprend. Une technique aussi, qui nécessite la maîtrise d’une machine complexe et la connaissance des dosages d’arôme de chaque référence. Du moins lorsqu’on travaille avec des produits naturels, comme c’était le cas dans les usines de la multinationale Unilever lorsque cet homme a renoncé à son corps de métier, la boulangerie, pour se reconvertir dans le thé. Jusqu’au passage à une fabrication chimique, la première des violences exercée par la multinationale Unilever sur ses ouvriers dont il est question dans 1336 (parole de Fralibs). « Passer du bon produit à de la merde surfacturée au prix de la qualité de l’époque, c’est inadmissible », dit le comédien et artiste associé à la Comédie de Saint-Étienne. D’emblée, les témoignages dont il se fait le passeur nous saisissent. Assis derrière une simple table en bois, face à un autre meuble identique où se dresse une petite pyramide de boîtes de thés, Philippe Durand en transmet toutes les nuances. Le mélange d’enthousiasme et de désillusion, d’autant plus fort que la pièce nous fait entrer dans la réalité des Fralibs à partir d’un moment sensible de leur histoire : la décision d’Unilever, en septembre 2010, de fermer l’usine de Gémenos.

L’envers du thé

Fruit d’entretiens réalisés en 2015, à la veille de la commercialisation de la marque « 1336 », ce spectacle porte avec justesse et sensibilité la mémoire d’une lutte. Et de sa victoire. Au service de la parole des Fralibs, Philippe Durand affiche envers elle une distance respectueuse. Sans forcément le lire, il tient à la main le texte qu’il a composé à partir de ses rencontres, et se contente d’adopter un accent marseillais qu’il abandonne lorsque son témoin vient d’ailleurs. Son plaisir à dire la lutte des ouvriers est évident. On le voit savourer leurs expressions. Leur manière de bousculer la langue pour exprimer leurs idées et la naissance de leur conscience politique à l’occasion du combat. Selon ses termes, c’est un « trésor populaire » qu’il nous livre. Un patrimoine oral méconnu. Porté par le constat d’une crise de représentation en France, fait par l’historien Pierre Rosanvallon dans Le Parlement des invisibles (Éditions du Seuil, 2014) et sur son site internet participatif Raconter la vie, Philippe Durand donne à entendre l’envers du thé. Un geste qui rappelle celui de Christian Rouaud dans le film Les Lip, l’imagination au pouvoir (2006), consacré à l’une des grèves ouvrières les plus marquantes de l’après-mai 68. Et qui questionne les luttes d’aujourd’hui.

Anaïs Heluin

A propos de l'événement

1336 (parole de Fralibs)
du mercredi 7 mars 2018 au jeudi 31 mai 2018
Théâtre de Belleville
94 rue du Faubourg du Temple, 75011 Paris, France

Du mercredi au samedi à 21h15, les dimanches à 17h. Relâches les 17 et 23 mars. Tel : 01 48 06 72 34. www.theatredebelleville.com.

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